Un regard posé, une porte ouverte
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute

- 14 juil.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 juil.
Cet article de blog adopte une forme un peu particulière : une galerie de photos accompagnées, non pas de souvenirs, mais d’impressions, de résonances, de réflexions personnelles.
Toutes ces images sont issues du reportage d’Oliana – Or-photographie – réalisé durant les dix jours que nous avons partagés au Kenya.
J'ai trouvé très intéressant cette approche et de voir ce que le regard de l'autre éveille en nous quand nous l'accueillons comme une porte entrouverte sur soi, sur son jardin intérieur. Ce qui se révèle alors n’est pas tant ce que l’on voit… mais ce que cela fait résonner.
Ce que vous lirez ici n’explique rien. C'est juste le partage de ce qui me touche, ce qui me traverse.
Ces moments captés s'offrent à moi comme un accès vers un espace plus vaste, plus intime aussi.

Faire partie du monde sans faire spectacle
En écho à mon dernier article de blog, que vous pouvez retrouver ici, je poserais qu'il y a une forme de sagesse à simplement exister dans le monde sans chercher à le saisir, ni à s’y imposer.
A l'heure où les réseaux monopolisent la scène de la communication, être vu, être reconnu, être nommé est souvent devenu synonyme d'exister. Il se pourrait que, peu à peu, ce qui ne soit pas montré n’ait plus de valeur, comme si finalement la lumière extérieure était la seule preuve de notre présence.
En regardant cette photo, je me dis que le vivant murmure autre chose. Il parle de présence juste, de discrétion, de vérité non spectaculaire. Il parle d’être là, simplement, sans fuir et sans conquérir… il invite à trouver l'extraordinaire dans l'ordinaire.
C’est un chemin que je reconnais. Je n’ai jamais eu le goût de l’exposition à outrance, de la démonstration bruyante. Ce que je transmets — dans mes accompagnements, mes week-ends, mes silences aussi — ne cherche pas à convaincre. Dans mon parcours, j'ai compris que pour toucher l'autre, il faut d’abord être touchée soi-même.
Dans ma présence à l'autre, aujourd'hui, je ne cherche plus à me prouver. Je me tiens là. J'offre une écoute, un regard, une main. J'offre un espace où l’autre peut redevenir sujet de sa propre vie, de sa propre traversée.
Certains ont parfois souligné ma discrétion, elle a pu, un temps, être le reflet de mon manque d'estime de moi mais aujourd'hui, elle n'est plus une posture d’effacement. Je prends le temps, j'observe, j'écoute… je laisse faire. C’est autre chose qui est là… Pour moi, c’est faire partie du monde sans chercher à le capturer ; c'est faire partie d’une relation sans vouloir la diriger.
J'habite ce monde peut-être sans éclat, mais avec vérité.

Quand le regard respire
L'invitation est faite à élargir son regard, tout en ne cherchant pas à voir davantage. L'invitation est faite à voir autrement. Afin de ne pas réduire ce que l’on perçoit à ce que l’on sait déjà, il est indispensable de laisser tomber le contrôle excessif.
Dans cet élargissement discret, il se passe quelque chose. Une lumière, presque imperceptible, glisse entre les pensées. Elle ne se présente pas comme une révélation, ou une réponse mais plus telle une clarté simple et apaisante.
J'ai remarqué, à maintes reprises que cette clarté vient quand nous cessons de vouloir comprendre à tout prix, quand nous laissons être.
Cette clarté se pose comme un souffle léger. Elle nous invite une nouvelle fois, à respirer plus grand, à ouvrir notre espace intérieur.
Je me suis longtemps trompée : j'ai respiré plus vite, plus fort. Puis j'ai pris le temps et j'ai observé… j'ai élargi cet espace intérieur comme j'ai élargi mon regard. J'ai respiré autrement. J'ai considéré ma respiration comme un "oui" à la vie, comme un vrai choix. J'ai capté alors cette sensation, celle où l’air va plus loin que d’habitude et rejoint doucement cet espace habituellement enserré qui ne demandait qu'à respirer.
Il n’est pas toujours nécessaire d’agir, de décoder, de décider.
Parfois, il suffit d’un souffle, d’un regard ouvert, et d'une vision simple de ce qui nous entoure pour être.

Toucher sans s'en saisir
Plonger la main dans l’eau, sans rien attendre, sans intention particulière : pas pour prendre, pas pour purifier. Peut-être, juste être là, dans le contact, peut-être juste pour sentir. Ici, le geste ne cherche rien, il ne sert à rien et c'est certainement cela qui me touche.
En regardant cette photo, je me dis que l'eau, fluide, vivante, épouse ce qui se présente, puis le laisse passer. Elle accueille sans retenir. Il y a dans ce geste quelque chose d’essentiel. Ce "quelque chose" se pose avant les mots, avant le sens.
Ce geste simple ouvre une continuité silencieuse entre mon corps et l'image que l'eau me renvoie. Ce reflet n'est ni tout à fait moi, ni tout à fait autre. Cela me transmet que je ne suis jamais vraiment figée et que ce que je suis est toujours en train de se dessiner. Ce geste pose également un lien qui ne force rien, qui n'interroge pas.
L'eau m'enseigne alors qu'être fluide n'est pas se perdre, qu'il est possible d'accueillir sans absorber et de s'ajuster à ce qui est.
Toucher l'eau comme le respect d'une présence sans emprise. Toucher sans se saisir.

Accueillir sans nommer
Nous associons très souvent les larmes à la peine, les rires à la joie, les cris à la colère, les silences à l’absence. Pourtant, il arrive que le sourire naisse dans les larmes ou que les yeux brillent d’une intensité qu’aucun mot ne pourrait nommer. Pour ma part, l’émotion humaine n’obéit pas à des catégories prédéfinies de forme. Je me souviens avoir pleuré de joie, crié de peur, ri de colère. Et lors des décès vécus, j'ai mesuré à quel point, les émotions peuvent se superposer, se mêler, se contredire même parfois.
Ainsi j'ai envie de vous demander : et si pleurer n’était pas forcément être triste ? Et si sourire n’était pas toujours être heureux ? Ce que l’on voit ne dit pas tout. La forme visible de l'émotion ne contient pas la totalité du sens.
Cet instant suspendu où l'émotion ne demande pas à être décodée, mais simplement accueillie et pleinement vécue est précieux. Ne serait-ce pas là, la véritable écoute : ne pas chercher à comprendre tout de suite. Juste rester là, face à ce qui se montre — multiple, vivant, insaisissable, et ainsi ne pas enfermer l'autre ou même ce que l’on perçoit, dans une définition trop rapide.
L’écoute de soi et des autres suppose un espace intérieur disponible, dégagé de l’envie d’analyser, de traduire, d’interpréter. Elle demande de pouvoir rester là, présent, sans projeter, sans expliquer, sans interrompre. Elle est la première étape de l'accompagnement, elle amène une analyse des plus justes.
Face à une émotion, un geste, un silence, un regard, un mot, c'est un champ des possibles qui s'ouvre. Ils sont l'écho d'une vibration qui passe, d'un élan, d'un trouble. Dans ce champ des possibles, il est important de pouvoir reconnaître que tout ne se laisse pas saisir.
En tout cas, à mon sens, il y a, dans cette forme d’écoute, un respect profond.
Ce respect m'invite à ne pas réduire l’autre à ce que je crois voir ou comprendre de lui.

Le corps, cette terre oubliée
Notre corps est notre première terre. Avant même de fouler des contrées lointaines et inconnues, nous habitons cette terre-là : cette peau, ces os, cette chair sensible.
Souvent, nous cherchons ailleurs des réponses, sans revenir à ce lieu d'une richesse infinie, ce lieu fondamental qui nous porte et nous enveloppe.
Ce geste – une main posée sur une cheville, les doigts colorés par la terre – me ramène à l’essentiel. Je suis faite de matière. Je suis cette matière. A moi de l’habiter avec respect, sans la fuir ni la mépriser.
J'ai mis du temps à considérer avec respect mon corps, à me reconnaître dans le "un" avec lui. Aujourd'hui, je vois en lui cette terre, que j'aime tant, porteuse de mon jardin intérieur. Il est à la fois frontière et passage, limite et ouverture. C’est en lui que mon histoire s’inscrit. C’est par lui que je ressens, que j'avance, que je me relève.
Mon expérience de la spiritualité m'a amenée à comprendre qu'elle est uniquement au service de ma réalité incarnée, et que la vie ne se pense pas seulement, elle se vit. Le subtil au service de l'incarnation. La vie s'expérimente dans le mouvement de mes jambes, dans le poids de mon bassin, dans la paume de mes mains, etc.
Ce n’est pas un ancrage conceptuel. C’est une fidélité à soi.

La mémoire du chemin
Il y a des routes que nous ne reconnaissons qu’après les avoir foulées. Lorsque nous nous retournons, nous sentons que quelque chose se réorganise.
Le regard embrasse alors l’ensemble du parcours, il mesure le chemin parcouru. Ce même regard donne du sens à chaque croisement, chaque montée, chaque descente, chaque virage…
Parfois ce qui, en avançant, semble flou, s’éclaire dans ce regard en arrière. Ainsi nous pouvons considérer que se retourner n’est pas revenir en arrière. C’est plutôt une façon de prendre conscience.
En m'arrêtant un instant, en me retournant, j'ai pu voir les empreintes laissées par chacun de mes pas, reconnaître les choix faits, les détours assumés. J'ai validé le chemin, dans sa complexité, dans sa justesse, dans sa douceur, dans son exigence… Cette validation m'a rendu la confiance en mes ressources, en mon libre arbitre. Elle a réhabilité mon pouvoir personnel, ma capacité d'adaptation.
Il me semble qu'oublier d’où nous venons, enlèverait tout son sens au mouvement car le mouvement n'est pas seulement un "aller vers", il est aussi un "partir de". En ce sens, pour moi, le fait d'avancer, de changer, de se transformer n'a de sens que lorsqu'il est relié à une histoire, une mémoire, une origine.
Sans s'attarder et sans s'attacher, nous reprenons la marche, avec ce regard global sur nous-même.
Intéressant de se dire que pour avancer avec plus de clarté, pour mieux voir devant, il nous faudrait parfois jeter un œil en arrière, juste un instant.
Comme j'ai pu le dire dans l'introduction de cet article de blog, toutes ces photos ont été prises lors de la création de tambours en terre Maasaï, il ne s’agissait pas pour moi de raconter un voyage, ni même d’en poser un souvenir ou une réflexion en lien direct avec cette aventure. L'envie était plutôt de laisser remonter ce qui, dans un geste, une lumière, un contact, fait résonance.
Un regard posé, c’est parfois tout ce qu’il faut. Il n'est pas toujours nécessaire de se saisir, ni comprendre. Il offre de laisser exister ce qui, autrement, serait passé sous silence.
Il y a, dans chaque photo, une trace fine d'une façon discrète, incarnée et non spectaculaire d’habiter le monde. Cette manière, autre, invite à une présence qui ne s’impose pas, une présence qui accueille.
A nous, d'ouvrir notre regard et d'entendre l'écho…





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