Rivières intérieures : le courage de vivre, la tendresse d’aimer
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute

- 18 août
- 7 min de lecture

Je me souviens de plusieurs articles de blog où les métaphores se sont invitées. J'aime ce style d'écriture. Elle n'est pas systématique mais parfois elle s'éveille pour teinter un sujet particulier. C'est le cas aujourd'hui et je m'en réjouis.
Voilà, cet intermède s'achève. Place à ma réflexion sur l'urgence de vivre et l'urgence d'aimer !
Il y a, dans le courant de ma vie, deux rivières. Sur une carte imaginaire, je les trace comme une représentation symbolique de mon existence. La première jaillit des montagnes, nourrie par mon élan vital : c'est la rivière de l'urgence de vivre. La seconde, elle, prend sa source dans les vallées fertiles de mes liens : c'est la rivière de l'urgence d'aimer. Elles coulent, parfois en parallèle, parfois séparément, laissant l'eau s'écouler tantôt au même rythme, tantôt dans des cadences distinctes. Chacune d'elle suit son parcours et expérimente, tour à tour la fougue et l'intensité d'une cascade dévalant le flanc des collines, la douceur et le calme d'un ruisseau bordé de fleurs et d'herbe verdoyante.
Puis, un jour, leur courant et le terrain environnant les amènent à se rapprocher, se rencontrer et se mêler. Ensemble, elles finissent par se jeter dans la mer, ce vaste espace où la vie et l'amour deviennent indissociables, dessinant alors un horizon porteur d'espoir et Vie.
La rivière de l'urgence de vivre
La rivière de l'urgence de vivre a le goût des commencements. Elle naît au sommet, là où l'altitude grise, où les rêves prennent forme, là où l'air est vif et stimulant. Son eau s'y nourrit de curiosité, d'envie de découvrir, d'élan d'oser. Elle serpente, longtemps, entre les reliefs de ma vie, creusant son lit au fil des choix que je fais, des rencontres qui m'enrichissent ainsi que des expériences qui me façonnent.
Elle m'invite à me lever chaque matin avec l'envie de ne pas laisser la journée filer entre mes doigts. Elle m'appelle à prendre des chemins que je ne connais pas encore et qu'il me tarde d'arpenter. Elle m'enseigne que l'inconfort est l'expression d'un besoin de changement et que je suis toujours à même de m'ouvrir à ce qui, parfois, me déstabilise, pour le transformer et en faire une nouvelle source de sécurité.
Cette rivière connaît aussi ses obstacles : les rochers de la peur, les barrages des habitudes, les méandres où je tourne en rond faute d'avoir oser bifurquer. Mais je remarque une chose, elle trouve toujours le moyen de passer, de contourner, de reprendre son cours. Je sais que mon urgence de vivre ne se satisfait pas des eaux stagnantes : elle a besoin de mouvement, d'air et de toujours avoir en point de mire l'horizon.

Ses affluents sont nombreux : un voyage, un projet, un moment de beauté saisi à la volée. Chacun d'eux contribue à élargir et approfondir son lit. Elle me rappelle que vivre, ce n'est pas seulement exister ; c'est mettre de la densité dans chaque instant.
Vivre et exister : un pont entre deux rives
Cycliquement, je me rappelle qu'il y a une différence entre vivre et exister.
Être là est ce qui définit « Exister ». Je dirais qu'il regroupe tout ce qui fait que nous occupons une place dans le monde. Ainsi respirer, marcher, remplir mes journées me permettent d'exister.
Vivre est tout autre chose pour moi. Je dirais que exister, c’est avoir un cœur qui bat et vivre, donner une raison à ses battements. Ainsi ressentir, vibrer, aimer, donner du sens m'offrent d'habiter pleinement ce temps qui m'est imparti.
Entre les deux, j'imagine un pont qui relie la simple présence au monde à l'élan vibrant de la vie. Ce pont, il m'a fallu oser le franchir (ce n'est pas encore toujours évident) en laissant derrière moi la rive des automatismes et des habitudes pour rejoindre celle où chaque instant peut, à un moment ou un autre, se dessiner comme un imprévu.
Je crois que nous pouvons exister toute une vie sans jamais vraiment vivre.
La rivière de l'urgence d'aimer
Plus douce au premier regard, la rivière de l'urgence d'aimer n'en est pas moins puissante. Elle naît dans la chaleur des relations humaines, dans la tendresse des liens qui comptent. Son eau est portée par des gestes simples : un mot qui rassure, un regard qui comprend, un silence qui dit « je suis là ».

Dans cette notion d'aimer, j'ai longtemps donné s'en compter sans trop pouvoir accepter de recevoir. C'est dans le lien précieux et essentiel à moi-même que le recevoir a vu vraiment le jour. Pour cela, j'ai osé montrer ma vulnérabilité, j'ai accepté le fait que je pouvais m'ouvrir à l'autre sans savoir ce qu'il en ferait. J'ai appris, au gré des courants, à ne plus me lâcher la main, à faire confiance à ma ressource première qu'est mon adaptabilité.
Cette rivière, elle aussi, rencontre ses écueils : blessures passées, peur d'être rejetée, perfectionniste qui retient les élans. Mais à chaque affluent de gratitude, de pardon, d'expérience ou de complicité partagée, elle retrouve sa fluidité et sa force.
L'urgence d'aimer me rappelle que le temps passé avec ceux que j'aime est un trésor fragile. Elle m'encourage à dire « je t'aime » plus souvent, à pardonner plus vite, à ne pas laisser les non-dits creuser des ravins entre nous. Elle me montre la préciosité de la communication. Elle m'invite aussi à me tourner vers moi-même avec bienveillance, car s'aimer soi-même est, à mes yeux, la source invisible qui alimente toutes les autres.
La confluence : quand vivre et aimer se rejoignent
Un jour, les deux rivières se rejoignent. Ce n’est pas un simple point de rencontre, c’est aussi un lieu de transformation.
L’eau vive de l’urgence de vivre, nourrie par le désir d’explorer, rencontre l’eau tendre de l’urgence d’aimer, imprégnée de chaleur humaine. Elles se reconnaissent, s’accueillent, s'unissent. Leurs couleurs, leurs parfums, leur voix d’eau se mélangent pour donner naissance à un courant plus large, plus profond, plus puissant.
À la confluence, tout change. Les rives s’élargissent, le paysage s’ouvre et l’horizon prend une nouvelle dimension. J'ai compris alors que vivre sans aimer laisse un goût d’inachevé et qu’aimer sans vivre pleinement enferme l’amour dans un espace trop étroit.
Ce point où les eaux se mêlent m'enseigne que le courage d’oser et la tendresse d’aimer sont deux forces qui, unies, amplifient mon passage sur Terre. Vivre nourrit l’amour du don de soi sans artifice et sans sacrifice ; aimer donne au vécu une profondeur et une simplicité qui amplifient l’expérience elle-même.

À partir de là, nous ne naviguons plus sur une seule rivière. Nous suivons un fleuve empreint d'une douce puissance, où chaque instant vécu porte en lui la vibration du lien et chaque geste d’amour la densité d’une vie pleinement habitée.
La mer : l'espace infini
Et puis, un autre jour, la rivière élargie atteint la mer. La mer, espace infini où la vie et l'amour se déploient au-delà de moi. C'est l'ouverture vers plus grand, vers un horizon sans fin, la liberté.
Dans cette mer, il n'y a plus d'eaux séparées. Les deux rivières ont perdu leurs contours pour devenir partie prenante d'un mouvement qui englobe, qui enveloppe et entraîne. Vivre et aimer ne sont plus deux chemins distincts : ils ne forment plus qu'une seule et même respiration, rythmée par les marées de l'existence.
La mer m'apprend que ce que je laisse derrière moi n'est pas un sillage matériel mais la mémoire de mes actes, de mes paroles, de ma présence. Elle me transmet que la trace la plus durable est celle laissée dans les cœurs, dans tous ces instants où j'aurais su être pleinement là. Elle m'invite à élargir mon regard, à comprendre que chaque goutte de mon eau se mêle à celles des autres, contribuant, à sa manière, à la houle, vaste danse du monde.
Et lorsque je lève les yeux vers l'horizon, je sais que la mer ne marque pas la fin du voyage mais un nouveau commencement. Elle me laisse entrevoir un espace où ce que j'ai vécu et aimé continue de se propager, porté par des courants invisibles.
Choisir le chemin de l'eau
Nous avons tous, en nous, ces deux rivières. Parfois, l'une prend le dessus sur l'autre. Parfois, elles s'ignorent, chacune poursuivant son chemin dans l'indifférence de l'autre. Mais la sagesse consiste peut-être à leur permettre de se nourrir mutuellement, à veiller à ce qu'elles finissent, dans un premier temps par se croiser ponctuellement pour finalement se rejoindre.

Cela demande de l'attention, du courage et de réorienter le cours de l'une ou de l'autre car il est facile de se laisser emporter par le seul courant de l'action et d'oublier celui du lien, tout comme il est possible de se perdre dans l'amour au point d'en négliger sa propre vitalité.
Choisir le chemin de l'eau, c'est une piste intéressante, vous ne trouvez pas ? En posant ce titre de paragraphe, j'y ai vu un clin d’œil à la symbolique de l'eau que je trouve si forte, si riche. Choisir ce chemin amène à accepter que l'existence est faite de mouvement, de confluences, de métamorphoses. Il permet ainsi d'honorer la rivière de l'urgence de vivre, qui appelle à l'exploration et à la découverte, et à accueillir la rivière de l'urgence d'aimer, invitant à la tendresse et à la gratitude. Cela invite enfin à avancer vers la mer avec la conscience qu'elle porte toutes les saveurs de la vie.
La mer, elle, attend pour accueillir la fusion des deux rivières. Je sais, qu'en suivant ce chemin, chaque goutte de mon eau portera jusqu'à l'infini, l'empreinte de ce que j'aurai choisi de vivre et d'aimer.
Au bout du compte, nous avançons, tous, avec nos deux rivières intérieures. Elles coulent, se croisent, s'éloignent mais chacune nous façonne à sa manière. L'urgence de vivre nous rappelle que le temps n'attend pas, que chaque instant peut être une porte vers l'inconnu. L'urgence d'aimer, quant à elle, nous enseigne que ce que nous faisons prend tout son sens dans le lien, dans la chaleur d'un cœur qui répond au nôtre.
Quand elles se rejoignent, elles dessinent un seul courant, ample et généreux. Ce dernier nous porte jusqu'à la mer et dans cette mer, il n'y a plus de distinction, il ne reste que la Vie, dans toute sa profondeur et sa beauté.
Alors, peut-être que le vrai choix qui s'offre à nous n'est pas de savoir quelle rivière suivre mais de veiller à ce qu'elles se nourrissent, s'appellent, s'interpellent et se mêlent pour que notre passage sur terre laisse derrière lui le murmure apaisant d'une voix d'eau qui a su chanter l'amour et la vie.






Sylvie, ce texte est magnifique et me parle très fort ! Les métaphores sont sublimes et crééent dans mon esprit des images de toute beauté !