Le but de notre vie… ne pas mourir ?
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute

- 28 juil.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 juil.

Et si, derrière tant d’élans, de quêtes, de progrès, de silences… se cachait un seul et unique but : ne pas mourir.
C'est vrai que cela peut sembler absurde à première vue. Il suffit néanmoins d’ouvrir les yeux sur le monde qui nous entoure, ou même sur notre propre manière de vivre pour remarquer que nous passons une bonne partie de notre existence à tenter de prolonger la vie, la maîtriser, l’assurer, comme si tout était bon pour repousser l’inéluctable.
Je le dis souvent, ici ou là, la mort est la seule certitude que nous ayons. Nul ne sait quand, où, ni comment elle viendra mais elle viendra. Tout peut s'arrêter, se transformer, nous échapper, c’est certainement ce qui nous pousse à vivre comme si nous pouvions l’éviter.
La médecine moderne : une course à la vie ?
Jamais nous n’avons été autant soignés, suivis, prévenus, vaccinés, protégés. La médecine a repoussé les limites de l’espérance de vie, éradiqué certaines maladies, sauvé des vies. C’est une avancée précieuse, et nous ne pouvons que la saluer.
Pourtant, cela fait poindre chez moi, une question : à quel moment sommes-nous passés du désir de soigner à celui de vaincre la mort ? La recherche de performance, la prolongation de la vie, la maîtrise des moindres symptômes… tout témoigne d’un formidable élan de vie. Cependant cet élan peut aussi, et parfois, nous éloigner de l’acceptation de ce que le vivant porte en lui de vulnérable, d’imprévisible, de limité…
Ce n’est pas tant cette course à la vie qui m'interpelle car elle est profondément humaine. C’est plutôt l'intensité émotionnelle et réactionnelle qu’elle accentue lorsque la mort survient là où on ne l’attend pas, là où elle semble des plus injustes : la mort d'un enfant, d'une mère trop jeune, d'une vie perçue comme « non terminée ». Plus nous nous habituons à l'idée de repousser la mort, plus il nous semble évident que la naissance est, en fait, une promesse de vie longue, belle et en santé… Cette croyance souffle sur l'insupportable et l'injustice, les embrase. Elles sont néanmoins légitimes dans la perte.
Alors oui, notre capacité à soigner a grandi et c'est formidable. Je ne dis pas là, le contraire.
Je me dis juste qu'il est peut-être temps que notre capacité à accompagner ce qui ne se soigne pas grandisse aussi.

Bien sûr, la majorité des gens ne veut pas mourir et ne veut pas, non plus que les autres meurent. Et c'est plutôt sain, non ?! Toutefois, cela ne doit pas nous amener à croire que la médecine est une science exacte, qu'elle est un nouveau Dieu qui détiendrait les clés d'une immortalité avérée.
Les croyances : traverser la mort autrement
L’humain ne s’en remet pas qu’à la science. Il croit, il imagine, espère, construit… des après la mort, des passages, des retours, des réalités autres… Les religions, les spiritualités, les philosophies ont toutes, à leur manière, tissé un récit autour de la mort.
Certaines parlent de réincarnation, d’autres de paradis, d’âmes en chemin, de mémoire collective, de lumière ou d’unité. Et même ceux qui se disent athées ont souvent une forme de croyance implicite avec l’idée de « vivre à travers ses œuvres », ses enfants, ses écrits, des souvenirs…
Toutes ces croyances sont là pour nous rassurer, elles créent notre réalité. Elles sont également une manière d’apprivoiser l’incompréhensible, de donner forme au mystère. Et si elles étaient aussi une façon de repousser ou d'effacer la mort dans ce qu'elle porte de définitif et irréversible ?
Toutes ces croyances posent que quelque chose de nous reste vivant. Cela amène d'autres questions : nos croyances nous aident-elles à accueillir la mort… ou à la contourner ? À quel moment deviennent-elles refuge et à quel moment deviennent-elles fuite ? Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, seulement des chemins différents pour approcher ce qui, pour chacun, reste difficile d'accès.
La peur de mourir : ce moteur caché
La mort effraie, non seulement parce qu’elle est une fin, mais surtout, selon les retours que j'ai lors de mes accompagnements, parce qu’elle est inconnue. Que se passe-t-il après ? Que laisse-t-on ? Que restera-t-il de nous ? Voilà des questions que j'entends souvent… Face à cette peur, nous courons, nous construisons, nous multiplions les projets, les relations, les possessions. Nous cherchons à remplir, à oublier, à nous prouver que nous sommes bien vivants.
Cette peur n’est pas toujours visible. Elle se glisse, insidieusement dans les choix de vie, dans les dépendances, les refus, les résistances. Elle peut être sourde ou bruyante, discrète ou fracassante. Ce qui est sûr, c'est qu'elle agit et ce, souvent, à notre insu. Elle façonne nos routes, elle colore nos décisions. Elle peut figer ou activer, enfermer ou pousser au dépassement.
Nous pouvons alors penser que c’est peut-être cette même peur qui nous pousse à vivre, à créer, à aimer, à transmettre, à chercher du sens. Ce qui revient également, c'est que de savoir, au fond, que tout a une fin, motive et pousse à exister, à se réaliser, à dire « oui » à la vie, à ne pas attendre indéfiniment pour être soi.
La peur n’est pas toujours une ennemie. Elle est un moteur ambivalent, un révélateur de ce à quoi nous tenons, un rappel que le temps est précieux.
Il nous reste à ne pas la laisser diriger seule mais plutôt à l’écouter, comme une voix intérieure qui nous dit : vis, maintenant.

Vivre vraiment, est-ce accepter de mourir ?
J’ai accompagné des personnes en pleine forme, comme on dit, des personnes malades, des personnes en fin de vie. Certaines se sont accrochées de toutes leurs forces à la vie, d’autres ont accueilli la mort, l'identifiant à la fin d'un cycle, à un passage, un peu comme « un retour ».
Il n’y a pas de bonne manière de mourir, ni de bonne manière de vivre ce passage. Il y a des chemins, singuliers, intimes, souvent inattendus.
Je vous partage que chez toutes ces personnes, la même vérité s’imposait : on ne vit jamais aussi pleinement que lorsqu’on a intégré que l’on va mourir.
C’est comme si la conscience de la finitude (caractéristique du vivant) rendait les instants plus denses, les liens plus précieux, les choix plus engagés. Comme si l’échéance, sans que nous sachions quand la mort viendra, venait affiner ce que nous voulons vraiment vivre, redéfinissait les priorités.
Le lien affectif que nous établissons avec toute chose, objet, événement, être vivant… vient très souvent ajouter des enjeux à ce que nous vivons. Nous projetons, nous craignons de perdre, nous redoutons la séparation. Et pourtant, mourir n’est pas un échec. Ce n’est pas, non plus, intrinsèquement une injustice. C’est un passage, une étape de vie rarement programmée, souvent redoutée, parfois apprivoisée. La question n’est donc peut-être pas « comment ne pas mourir ? », mais « comment vivre avec cette conscience-là ? »
Ou encore comment vivre sans nier cette fin, sans s’y soumettre non plus ? Comment faire de cette certitude une force, un élan, un engagement à vivre, ici, maintenant, avec justesse et avec ce qui compte vraiment.
Et si le vrai but… était de vivre ?
Et si le but de la vie n’était pas de ne pas mourir mais de vivre assez pleinement pour que la mort ne soit pas un regret ?
A mon sens, accepter notre finitude ne signifie pas se résigner. Cela ne veut pas dire baisser les bras, ni attendre passivement la fin. Accepter notre finitude, serait plus se libérer. Mais se libérer de quoi ? De l’illusion du contrôle, d’abord, ce fantasme que tout serait maîtrisable, prévisible et domptable. De la peur elle-même, ensuite ; cette peur qui paralyse, enferme, retarde ou détourne. Se libérer, aussi, de l’idée que la vie ne serait valable que si elle dure longtemps ou si elle est "réussie" selon certains critères.
Le but de la vie ne se limite pas à la simple survie. Les critères, qui le caractérisent, ne sont pas uniquement les années, les possessions, les performances. Il est défini aussi par la présence, l'intensité, la capacité à aimer, à se relier, à être au monde.

Et si vivre, vraiment, c’était marcher aux côtés de notre propre finitude, non pas comme une ennemie mais comme une compagne silencieuse qui nous rappelle de ne pas oublier l’essentiel.





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