Parler de la mort et faire un pas vers la vie (1/2)
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute

- 15 sept.
- 5 min de lecture
Volet – 1

Cet article de blog se compose de deux volets. C'est un choix que je fais en continuité de l'article consacré aux morts symboliques de l'adolescence que j'avais également partagé en plusieurs parties. J'ai constaté que cette forme permet d'aller en profondeur tout en rendant le contenu plus digeste, plus facile à lire aussi.
Elle permet aussi de poser une respiration, un temps de réflexion personnelle entre les publications. J'aime l'idée.
Cette façon là de partager offre d'entrer dans le sujet pas à pas, sans précipitation ou trop d'informations.
Je me dis également que parler de la mort ne mérite ni raccourci, ni survol. Je vous propose donc cette réflexion en deux temps, comme deux étapes sur un même chemin.
Nous pourrions croire que parler de la mort pose un voile sombre sur l'existence et ajoute un poids inutile sur nos épaules. C'est un peu comme si l'évoquer risquait de ternir la joie et d'appeler l'inévitable plus tôt qu'il ne faudrait. Dans l'inconscient collectif, la mort reste un sujet qu'il vaudrait mieux éviter, celui qui dérange au plus haut point. Pourtant, pour l'expérimenter quotidiennement, je peux vous dire que ce n'est absolument pas ce qui se produit lorsque nous acceptons d'ouvrir cette conversation, c'est même souvent l'inverse.
Quand nous parlons de la mort, de la nôtre, de celle de nos proches ou encore de celles que nous avons traversées, la vie ne s'efface pas. Elle ne disparaît pas et je dirais même qu'elle prend une nouvelle profondeur. La vie redistribue les cartes et les règles du « jeu » changent. Ainsi ce qui paraissait acquis devient précieux, ce qui passait inaperçu se charge de sens. Elle nous ramène à l'essentiel. Alors bien sûr, l'essentiel est propre à chacun et loin de moi, l'idée d'en imposer les contours. Néanmoins, ma réflexion se fait à partir des matériaux que je porte et mon essentiel, lui se pose dans ce qui est aimé, exprimé et transmis.
Dans les groupes que j'accompagne, dans la formation et les WE Thana, je suis le témoin privilégié du fait que lorsque nous acceptons d'aborder ce sujet, la vie retrouve sa juste place, elle se calme et reprend une respiration plus ample encore. Elle passe de l'agitation au mouvement, se relie à l'amour. Elle laisse de la place à la mémoire, la gratitude et parfois au courage.
Parler de la mort et faire un pas vers la vie, voilà un sacré engagement ou un engagement sacré, selon les croyances ! Choisir d'être vivants, maintenant, d'être entiers et vraiment présents… sommes-nous prêts ? Êtes-vous prêts ?
« Ce n'est pas morbide, c'est libérateur »
Combien de fois ai-je entendu cette phrase… je l'ai si souvent entendu dans la bouche de mon père, je souris, il n'est plus là pour la dire : « Mais pourquoi parler de ça ? Nous aurons bien le temps… et puis, c'est morbide ! »
Cette réaction est fréquente, presque réflexe. A mon sens, elle naît d'un malentendu. Nous confondons parler de la mort avec se complaire dans la tristesse ou s'attarder de manière malsaine sur la douleur. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
En parlant de la mort, le but n'est pas de se noyer dans la peur ou de nourrir une quelconque souffrance ou obsession. Non, c'est plutôt d'accepter que la mort fait partie de nos vies aussi bien dans ce passage ultime qui nous attend tous que dans ces pertes et deuils symboliques qui jalonnent notre expérience de vie. Le silence, lui, n'empêche rien. Refuser d'en parler ne protège pas et n'efface pas les peurs ou les douleurs. Cela nous laisse simplement démunis, seuls, sans mots ni repères lorsque la réalité surgit et nous surprend.

Est-ce que faire comme si la mort n'existait pas, n'est pas ce qui est le plus morbide au final ? Nous la repoussons toujours plus loin sans laisser personne s'y préparer.
Nous réduisons cette expérience inévitable et promise à tous à un interdit, privée d'espace d'expression, de réflexion, de partage.
J'ai vécu cette expérience, celle d'oser nommer la mort à mes enfants. Je l'ai vécue comme un geste d'amour et de lucidité. Oser la nommer permet de reprendre aussi possession d'un territoire, d'un pouvoir personnel que la société a tenté et tente encore d'effacer.
La finitude fait partie de notre condition humaine, l'ignorer ne nous préserve de rien.
Retrouver une puissance de choix
Lorsque nous osons parler de la mort, nous retrouvons une forme de liberté intérieure. Je le vois si souvent… Nous savons que rien n'est acquis, que tout peut basculer. C'est en cela que nos choix comptent, que nos gestes, nos paroles et les liens créés prennent de l'importance. La densité donnée aux choses n'est pas un poids qui écrase mais un poids qui ancre et oriente.
Avez-vous déjà pensé qu'évoquer la mort pouvait vous soulager, qu'ouvrir un espace de paroles autour de la mort pouvait soulager celui à qui vous offrez de vous y rejoindre ? N'avez-vous jamais ressenti le fait de croire « que tout va durer toujours » comme un fardeau ?
Savoir justement que tout ne va pas durer éternellement nous invite à faire des choix, à nous mettre face à nous-mêmes pour définir nos priorités, dire l'essentiel, mettre de l'ordre dans ce qui restait en suspens ou encore de faire la paix avec certaines histoires restées souffrantes. Cela nous laisse le temps de créer des rituels, des traces de notre passage, ici ou là et aussi de transmettre. En posant ce dernier mot, je pense à la joie d'une dame en fin de vie que j'avais eu l'honneur d'accompagner. Sa joie était liée à son projet de transmettre son cahier de recettes de cuisine à son petit-fils gourmand.
La beauté et la puissance de la simplicité, personnellement, j'adore !

Nous savons que les familles se retrouvent perdues au moment d'un décès, souvent parce que rien n'avait été dit, rien n'avait été signifié. Combien de vies s'achèvent dans la confusion, dans le silence et même le conflit au nom d'un silence imposé. A l'inverse, nous savons aussi combien une parole claire et simple, une préparation partagée peuvent transformer la douleur de la séparation en un passage teinté de sens et même de douceur parfois. Oui, c'est possible !
Je ne sais pas pour vous mais de mon côté, savoir que la fin de vie ou le deuil peut s'associer à des moments de douceur, m'a beaucoup apaisée. Et savoir qu'il existe une fin, m'a permis de choisir mon mode de vie, m'a offert d'être plus fidèle à moi-même.
De mon point de vue, parler de la mort n'est pas céder à la fatalité mais plutôt affirmer notre humanité.
Une lucidité qui protège et relie
Il y a une grande tendresse dans cette lucidité. Dans le domaine de fin de vie, elle n'ôte rien à la vie, elle l'élargit bien au-delà de nous. Ainsi, elle protège ceux que nous aimons en leur évitant le poids des décisions prises souvent dans la précipitation ou l'ignorance. Elle nous protège, nous-mêmes en nous donnant la force et l'élan de dire notre essentiel, tant que nous en avons la possibilité.
Je le répète souvent, même très souvent, parler de la mort ne gomme pas la douleur qu'elle provoque. En revanche, cela lui offre un espace d'accueil digne. Cela revient à reconnaître qu'elle existe et qu'elle mérite surtout d'être préparée, accompagnée, voire ritualisée. C'est aussi une façon de dire à la vie qu'elle a de l'importance et qu'elle requiert d'être honorée et choyée jusque dans son dernier souffle.
Ce premier volet Parler de la mort et faire un pas vers la vie aura peut-être dissipé un malentendu, éclairer une confusion. En effet, parler de la mort n'a rien de morbide, il s'agit au contraire d'un geste de clarté et d'amour.
Dans le second volet, je vous partagerai comment cette parole transforme notre rapport à la vie, comment elle nous réoriente vers ce qui compte vraiment, vers nos liens précieux, nos choix et nos mémoires.
Lorsque nous osons ce dialogue, un autre regard s'ouvre et offre à la vie de se déployer différemment… à nous d'oser le « différemment ».





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