La création de tambour au cœur du deuil et de la fin de vie : une approche sensible
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute
- il y a 7 jours
- 8 min de lecture

Cela fait maintenant 10 ans que j'accompagne à la création de tambours chamaniques. Lorsque j'ai décidé d'axer mon activité d'accompagnement vers le domaine de la fin de vie et du deuil, j'ai immédiatement pensé que ce processus de création et l'utilisation du tambour pouvaient me suivre dans cette aventure.
Cependant il m'a fallu un peu de temps pour accepter d'en parler. Pourquoi ? Être prise au sérieux ? Me raconter que je changeais tout ? Ne pas oser ? Peu importe, j'ai fini par me dire que l'accompagnement que je propose, demande de s'investir dans tout ce que je suis et toutes mes compétences.
Le séminaire et les échanges post-séminaire m'ont montré aussi que notre collectif de thanadoulas trouvait sa richesse et son unité dans notre diversité.
Vous trouverez ici ma réflexion et mon témoignage.
J'aime tellement ça, savoir que certains gestes dépassent ce qu'ils semblent accomplir. Je l'ai vraiment constaté tout au long de mon parcours personnel et professionnel.
J'ai pu également observer que chaque geste de la création d'un tambour chamanique fait partie de ceux-là. Ainsi tendre la peau, l'assembler au cadre de bois, tisser les liens, s'animent d'un sens bien plus vaste et invitent à regarder au-delà.
Dans cet espace, le mouvement engage le corps mais aussi l'invisible. Ce processus créatif devient alors un apprentissage du vivant.

Dans ce moment de rencontre avec soi, je vois souvent des personnes arriver le cœur serré, encore imprégnées par la perte ou la séparation, transies par l'annonce reçue. Je vois également des personnes qui savent qu'il leur faut maintenant marcher la fin de leur vie et commencer à tisser les liens autrement avec eux-mêmes, avec les autres et surtout avec la vie.
Quand elles repartent avec leur tambour vibrant entre les bras, leur regard s'est transformé. Elles s'émerveillent de ce qu'elles ont accompli. Elles se rassurent de ce qu'elles sont encore capables de réaliser. Elles se sentent vivantes.
Quelque chose s'apaise, c'est un peu comme si une respiration nouvelle s'installait.
La matière comme miroir
Je l'ai moi-même expérimenté. Quand la main rencontre la matière, le corps découvre un autre langage. La rencontre a lieu.
Le bois offre sa solidité, la peau son écoute, le lien sa mémoire. En écrivant cela, je suis émue. Émue de voir que ce processus est porteur d'une richesse symbolique folle qui lui permet de prendre place dans chaque espace d'accompagnement.
Dans le processus que je propose, ici, dans l'accompagnement de fin de vie et du deuil, lorsque la peau s'assouplit lors de la cérémonie de l'eau, elle incarne l'adaptation, lorsque le cadre est nourri, il s'impose comme soutien de l'ancrage et lorsque le cordage relie, il tisse un nouveau lien à soi et au autres.
Chaque étape révèle un état intérieur. En cela, les résistances de la matière répondent aux résistances de notre cœur. Le geste demande de la lenteur, de la fermeté, de la délicatesse, de la patience et… du souffle.
Ici la transformation ne se pense pas, elle se vit.
C'est ce qui rend cette approche si prégnante.
Finalement, dans le langage symbolique enveloppant ce moment, je dirais même que le tambour ne se fabrique pas, il naît.

Le geste comme une traversée
Peu à peu, le rapport à l'objet se modifie. L'enjeu de « réussir » s'efface, il laisse la place à la présence à soi et à ce qui est, dans une simplicité qui apaise vraiment.
Je trouve que cette démarche redonne une place et du sens aux rituels devenus si absents, ceux dont le corps garde l'empreinte. Le tambour peut incarner ce pont entre deux rives et selon ce qui s'accompagne lors de ce processus de création, les deux rives se dessinent différemment. Tantôt elles représentent la vie et la mort, tantôt la sphère de perte et celle de restauration.
Dans le silence de ce temps de mise au monde, le tambour recueille ce qui n'a pu être dit et lorsqu'il sonne, chaque battement garde cette trace de confidences et d'intimité.
Quand le son ouvre le passage dans les processus de fin de vie et de deuil
Après la création du tambour, vient souvent l'impatience car il lui faut quelques heures pour sécher. Pas facile dans ce qui est vécu de « laisser le temps »... mais voilà, le moment où le tambour sonne et résonne, arrive. Parfois le premier battement surprend, il est chancelant, timide même puis le deuxième est déjà plus assuré, ouvrant le chemin à une succession de battements plus souples et plus enlevés. Le rythme prend corps, le son et la vibration remplissent l'espace et révèlent le vide et l'invisible autrement.
Cette pulsation agit comme une onde. Elle traverse le mental, apaise les pensées. Elle nous entraîne dans la danse de nouvelles fréquences. Le plus surprenant très souvent pour les personnes, non habituées, est que le corps laisse faire, le son agit sans forcer. L'être tout entier se laisse bercer par un mouvement qui semble bien plus ancien que lui. Ce moment reste pour moi empli d'émotions.

Les recherches sur les états modifiés de conscience montrent que la répétition du rythme (boucle sonore), autour de quatre battements par seconde, amène le cerveau dans une fréquence proche des ondes thêta. C'est un espace d'intuition, d'imagination et de mémoire symbolique. C'est déjà un seuil où nous percevons le monde autrement.
Je me souviens d'une personne qui, à la fin d'un cercle de tambours chamaniques m'avait dit « le voyage au son de tambour est un lieu de passage entre la matière et l'âme ». Je trouve cela très beau.
Ces états, même si à la mode, n'ont rien d'exotiques. Pour moi, ils appartiennent au vivant, à notre fonctionnement intrinsèque. Le tambour ne transporte pas ailleurs, il ramène à l'essentiel.
Personnellement, je sens que la vibration relie et que le son rassemble, invitant, dans un espace sécurisé, la conscience à s'élargir.
Dans l'accompagnement de la fin de vie, cet espace offre un apaisement rare accompagné d'une reconnaissance du mystère.
Je vous en avais parlé, il y a quelque temps, dans un article de blog en deux volets « États modifiés de conscience et mort : une préparation intérieure ».
Le rythme et la spirale enchantée
Je reviens au rythme du tambour, il ne se réduit pas à une cadence. Je le perçois comme une respiration. Chaque battement répond au précédent, comme dans les mouvements respiratoires, séparés et pourtant indissociables. Chacun s'inscrit dans un flux qui finalement ne s'interrompt pas vraiment.
Et quand la voix s'y mêle, le corps tout entier devient un instrument, je dirais même qu'il devient un orchestre. Les sons s'enroulent et se mêlent, créant ainsi une spirale sonore, douce et enveloppante. Forcément, me revient en mémoire tous les souvenirs des soirées enchantées partagées (chant intuitif). Je souris, je pense à vous.
Ce que j'ai appris avec le temps, c'est qu'il n'y a pas besoin de grandes démonstrations, chacun va où il a besoin et envie d'aller. Cet espace sonore est une simple continuité vibratoire où la pensée s'efface.
La voix, elle, amplifie la présence. Dans l'accompagnement au deuil, elle vient adoucir les frontières. Je vois bien combien la personne en deuil retrouve peu à peu un dialogue sensible et intérieur avec ce qui demeure. La voix souffle aussi sur les émotions, elle les soutient jusqu'à ce qu'elles s'expriment.
Le son, dans sa globalité, agit comme un tissage. Cette fois-ci, c'est chaque vibration qui prolonge la précédente. Ce mouvement circulaire rejoint aussi la notion de cycle et la dynamique du deuil, notamment dans ces aller-retour entre absence et présence, perte et restauration. Dans ce mouvement, nous prenons conscience que rien n'est figé, tout vit. J'ajouterais que tout oscille, en référence à cette notion primordiale qu'est la théorie d'oscillation, signe d'un deuil sain, également abordé dans mes articles de blog.
La création d'un tambour chamanique comme accompagnement

Lors de l'atelier de création de tambour chamanique, les échanges vont bon train, puis le silence s'installe à mesure que le tambour prend forme. Ce silence n'a rien du vide. J'y sens un mélange de respect et d'émerveillement. Et je dirais plutôt qu'il transpire la présence et l'attention.
Certains se laissent traverser par des émotions trop longtemps contenues. D'autres sentent immédiatement une paix nouvelle comme si la vie reprenait sa place dans le geste effectué. Le travail des mains est porteur d'écoute, d'accueil et de transformation.
Dans cet espace-là, rien n'est vraiment à comprendre, tout se vit.
Alors je ne vais pas vous mentir, en vous laissant penser que tous ces moments se vivent, à chaque fois, dans la douceur et le calme… La fin de vie et le deuil sont empreints de douleurs, nous ne pouvons pas le nier. Nous savons que pendant la fin de vie ou de deuil, certaines étapes réveillent ou laissent s'exprimer des douleurs enfouies, des colères présentes et anciennes, et des chagrins légitimes profonds. Les émotions surgissent parfois sans prévenir, telles des vagues qui submergent.
Cette intensité a entièrement sa place dans chacun des processus et de ce fait, dans celui de la création de son tambour. Je la vois comme une remise en circulation de ce qui est retenu.
Quand c'est le cas, je compare la création et le son à deux bras grand ouverts. Ils ne jugent pas, ils ne cherchent pas à consoler. Ils offrent, en revanche, un espace sûr où tout peut exister.
Le tambour recueille les larmes aussi bien que les élans de vie. Sa vibration contient, elle enveloppe et réchauffe si besoin. Elle rappelle que la douleur n'a pas à être jugée, elle est à considérer dans le mouvement de l'amour et du vivant.
Ce processus n'enseigne pas seulement la création d'un instrument, vous l'aurez compris. Il révèle un chemin vers soi. Je le perçois même parfois comme une découverte de soi.
A un endroit, le tambour chamanique accompagne autant qu'il se crée. La personne qui le confectionne devient, sans même le savoir, accompagnante d'elle-même. Le tambour ne soigne pas, pour moi, il rassemble. L'image de la mise en place du cœur du tambour, au niveau du lien, témoigne parfaitement que ce qui se séparait retrouve un centre. La rencontre de la mailloche et de la peau donnant naissance au son, symbolise à la perfection que ce qui s'était éteint recommence à vibrer.

Le tambour chamanique, compagnon du vivant
Lors de la naissance du tambour chamanique, le lien se matérialise mais c'est lorsque nous en jouons que la relation se crée. Son timbre garde la mémoire du moment de création, des émotions déposées. C'est ainsi que chaque vibration raconte une histoire.
Certains l'utilisent pour méditer, d'autres pour célébrer, d'autres encore pour soutenir l'expression de leurs émotions ou pour se relier à la mémoire de leurs défunts. Quelle que soit l'utilisation faite, le son se pose comme repère et ancrage. Il accompagne le quotidien dans sa nouvelle réalité, tout en nourrissant la mémoire du lien.
Dans le contexte de fin de vie, en solo ou en compagnie d'un proche ou plusieurs, le processus de création de tambour et le tambour lui-même trouvent naturellement leur place. Sa vibration enveloppe, réconforte. Elle soutient. Le battement du tambour rejoint celui du cœur, la résonance apaise les tensions. La création collective crée des souvenirs et ancre ce lien indéfectible.
Parfois, le tambour accompagne un dernier souffle.
Parfois, il soutient l'énergie de vie encore présente.
Parfois, il aide ceux qui restent, à accueillir l'absence.
Parfois, il matérialise le lien entre le visible et l'invisible.
Chaque résonance rappelle que la vie continue, le processus montre que tout peut se transformer.
Le son comme voie de transformation
Le tambour enseigne le rythme du vivant. Il nous parle aisément d'oscillation : tension et relâchement, inspiration et expiration, silence et vibration etc. Il nous enseigne aussi que le silence fait partie du rythme et que la transformation s'inscrit dans un cycle.
J'ai vu si souvent le son agir là où les mots s'épuisent. Sans crier gare, il traverse les armures, éveille la mémoire cellulaire et rend ainsi au corps sa sagesse, voire sa paix (même temporairement, cela reste si précieux).
Dans les moments de bascule, perte, maladie, séparation, cette vibration réouvre le passage vers la vie. Elle réunifie ce que la douleur avait dispersé. Elle donne une place autre à la présence.
Dans l'espace sacré de l'accompagnement de la fin de vie et du deuil, le tambour invite le son à devenir chemin, le rythme prière et permet au vivant de retrouver sa musicalité.

Ce partage n'effleure qu'une infime partie de ce qui se vit réellement dans cet espace d'intimité. Les mots peinent ici à rendre compte de la profondeur de ces expériences, de la justesse des émotions traversées, de la densité du silence et du calme qui s'y déposent.
Chaque création reste une historie unique, là où chaque résonance nous parle d'un chemin singulier.
Je reste naturellement disponible pour en parler, pour répondre à vos questions ou simplement accueillir l'écho qui a pris place en vous.
Ces rencontres autour du tambour ne sont jamais anodines. Elles parlent, sans ambages de vie, de lien et de transformation.


