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Nous sommes la terre et le monde apprend à fleurir



Thanadoula et fin de vie : laisser germer le vivant


Coquelicot rouge au milieu des blés et des fleurs sauvages — symbole de vie, de mémoire et de continuité du vivant.


J'ai découvert le concept des Flories, créé par F. Piron, lors du séminaire des Thanadoulas. J'ai eu la joie d'écrire un article de blog au sujet de ce rendez-vous d'exception et quelques posts sur les réseaux sociaux. Je vous joins ici le lien vers l'article, si vous ne l'avez pas encore lu et que votre curiosité vous y invite.


Après une petite balade sur un chemin de traverse dont je suis coutumière, je reviens à l'essence même de ce partage.

Les Flories représentent pour moi, une idée simple et profondément humaine. Laquelle ? Celle de confier à la terre une boule de graines, symbole de mémoire et de vie, qui donneront au grès du temps, ici ou là, des fleurs.


Sachet de graines Les Flories sur fond de paille tressée, accompagné de fleurs bleues — symbole du geste de semer la mémoire et la vie.


J'ai été touchée par ce geste et tout ce qu'il porte. Immédiatement, la présentation de Frédéric m'a entraînée dans cet espace inviolable et inviolé, celui de mon imaginaire. Ce lieu où tout prend sens avant de prendre forme et où tant d'idées fleurissent.


Depuis, cette image trotte dans ma tête et l'idée de la traduire en mots aussi. Dans un premier temps, difficile d'assembler les pièces du puzzle mais no stress, j'ai l'habitude.


Je nous voyais, nous les thanadoulas, comme ces boules d’argile porteuses de graines multiples et singulières. Chacune renfermant une richesse empreinte d'expérience, de connaissance, de présence, de tendresse, de mystère aussi. Notre accompagnement était ce geste simple et juste, celui qui confie la boule à la personne en fin de vie, à la famille, au passage. Pourtant, quelque chose me chiffonnait, même si j'adhérais à cette image intérieure.


Il faut dire que ce geste, ce rituel offre une infinité d'interprétations, autant de chemins de sens que de cœurs pour les recevoir. Mon esprit en arborescence s’est alors déployé comme un arbre au printemps.


Par conséquent, quand c'est comme ça, je laisse faire. Je lâche car je sais que le travail se fait en autonomie. Je me connais bien, je fonctionne de cette façon-là.


Puis je reviens doucement de ce lieu intérieur où s'enracinent mes images, ce territoire invisible où les symboles se tissent avant de devenir matière. Je reviens et je reprends ma plume comme je le fais à cet instant. Je suis prête à vous partager cette vision poétique et concrète qui m'habite depuis plus de dix jours maintenant.


Dans cette métaphore, c'est un peu comme si tout s’était inversé. Mais finalement, tout est modulable et cette version n'est pas mieux qu'une autre, c'est juste celle que je souhaite vous partager. Ainsi, nous, thanadoulas, ne sommes plus les boules d’argile offertes à la terre…

Nous sommes la terre.


Le geste d'accueil


Nous sommes la terre, cette matière vivante et féconde qui accueille les boules de vie confiées à nos mains. Ces boules porteuses d'espoir et de promesses, celles des personnes en fin de vie, des familles, des endeuillés. Chacun d’eux porte ses graines, chargées de souvenirs, d'émotions, de croyances, de peurs, d'élans d’amour.


Notre rôle est d’ouvrir la terre et de lui faire place.

Pour cela, il nous faut creuser doucement la terre, préparer soigneusement le sol, offrir chaleur et attention pour que ces graines puissent trouver leur espace et respirer.


Main d’une thanadoula marquée de terre, symbole d’ancrage, de soin et d’accueil du vivant dans l’accompagnement de fin de vie.



Le contact qui relie


Quand la terre s’ouvre et accueille la boule d'argile ensemencée, tout commence à se relier.

La terre sent la forme de ce qui lui est confié, elle s’ajuste, s’assouplit, s’humidifie de compassion. Mettre une graine en terre, c’est déjà un acte de soin. Nous choisissons d'un commun accord où la rencontre aura lieu, nous écartons doucement les pierres sans forcément les rejeter. Tout a sa place, tout est nature à nourrir l'environnement.


Il y a dans ce contact un échange silencieux, mystérieux même, une reconnaissance ancienne entre le vivant et le vivant.

Chaque geste devient une façon de dire «  tu peux te déposer ici, tu peux être accueilli tel que tu es, dans ce que tu vis. »

Dans cette reconnaissance de terre à terre, le lien se fait comme de peau à peau ou de regard à regard, la présence mutuelle naît dans un écrin naturel de bienveillance et de douceur. Le lien se tisse là, dans le contact, dans cette lenteur qui précède le don.



Sous la surface, la vie travaille


Sous la surface, dans la confiance de cet environnement inconnu et néanmoins reconnu, les brins de fil s'attirent, s'étirent et se connectent, le tissage se fait en tout autonomie. Nous veillons, mais sans forcer. Nous savons que les germinations les plus profondes ont besoin d’obscurité, de lenteur, de ce temps que l’humain moderne redoute et que la fin de vie impose.


Alors nous gardons la terre vivante, respirante, ouverte à ce qui cherche à se lover ou à naître.

Je me dis : « le visible viendra plus tard. »

Parfois, ce sont des mots qui germent, parfois des larmes qui arrosent, parfois encore une paix que nous ne savons pas nommer.

Et puis vient ce moment où la vie, dans sa tendresse ou son éclat, perce la surface. Une fleur s’ouvre là où il n’y avait qu’attente, une couleur surgit dans le gris du jour. Chaque floraison porte la trace de ce lien tissé dans l’ombre : une parole déposée, un regard partagé, une présence tenue jusqu’au bout.


Champ de tournesols au coucher du soleil, symbole de vie, de transformation et de continuité du vivant dans le cycle de la terre.

Ce n’est pas de nous que naît la vie, nous ne faisons que prêter un bout de notre terre, de notre chaleur enveloppant comme les bras maternels ce qui cherche à éclore encore.



Le jardin merveilleux


Je ferme les yeux et je pense à nous, je vois un vaste jardin qui s'étend jusqu'à l'horizon. Un jardin merveilleux, tissé de terres différentes, de fleurs aux couleurs resplendissantes, de parfums diffus. Chacune de ses terres que nous sommes, offre sa part d’humus, sa façon d’accueillir la pluie, de recevoir la lumière.


Et dans ce jardin, même aux heures les plus sombres, la vie continue. Elle se dépose, se transforme, se souvient, se relève. Nous sommes la terre, et par notre accueil, au-delà même de la souffrance, le monde apprend encore à fleurir.


Dans ma vision du monde, chaque geste porte en lui la promesse d'une mémoire, d'un lien, celui du vivant avec le vivant, de la main humaine avec le souffle du monde.


En tant que Thanadoula, c’est ce même geste que j’accomplis quand j’accompagne. J'ouvre les bras comme je creuse la terre. J'accueille l'autre, je le laisse se déposer, je le recouvre de présence et de bienveillance. Ce lien-là ne se voit pas, mais il nourrit. Il prépare le passage. Il rend possible la germination du sens, de la paix, de la vie qui cherche encore son chemin. Les échanges, les partages, les mots et les regards sont la pluie qui vient arroser ces graines prêtes à germer.


Alors oui, encore aujourd'hui, aux yeux des proches ou surtout des institutions, notre rôle semble invisible. Ils pourraient même croire qu’il ne se passe rien. Il n'est pas invisible, il est discret. Tout se joue sous terre, là où personne ne voit mais où tout communique. Comme les arbres et les plantes qui s’échangent l’essentiel des informations par les racines, la vie circule en silence, d’une âme à l’autre, d’un cœur à l’autre.


Rayons du soleil filtrant à travers les arbres au lever du jour — symbole de lumière, de passage et de continuité du vivant.

Puis vient le jour du relâchement, celui des dernières larmes. Celles du mourant comme témoin du dernier au-revoir, celles des proches comme témoin de la prise de conscience de la séparation.

Ces larmes deviennent la dernière pluie.

La pluie peut-être encore indispensable à ce sol que nous croyons aride. L'alchimie se fait et surgissent des fleurs inattendues. Elles-mêmes à leur tour symbolisent les liens, les élans, les transformations. Leur parfum enveloppe ceux qui restent, rappelant que rien n'est totalement perdu, que la vie poursuit son œuvre, autrement.


Comme nos gestes, nos regards et nos mots, tout ce que nous avons semé continue d’agir bien au-delà de l’accompagnement.

Rien ne s'impose, rien ne se presse.

Il faut ce temps d'avant la germination, celui où nous ne voyons rien et où pourtant tout se prépare.

Pour moi, accompagner, c'est aussi être là, sans hâte, veiller le vivant qui travaille à sa manière, bien souvent dans le secret. Il est des moments où un mot s'ouvre, il arrive qu'une larme devienne un souffle, ou que rien ne se dise et tout se comprenne.


Et puis il y a ce jardin.


Celui dont nous sommes garantes, nous les thanadoulas. Un jardin tissé de nos présences, de nos voix, de nos gestes. Un jardin merveilleux où chaque boule de terre trouve sa place et a la possibilité de laisser éclore ses graines. Un jardin où la mort ne coupe pas la tige de la vie mais la relie autrement. Un jardin paré de couleurs et de senteurs multiples laissant entrevoir que le lien ne meurt jamais.



Une note à notre impatience…


Il faut du temps pour qu'une graine s'ouvre, il faut du silence aussi pour qu'elle puisse entendre quand venir au jour. Rien ne sert de gratter la terre, ni de chercher à voir avant l'heure.


Il en est de même pour l'accompagnement, il est fondamental de ne pas précipiter le vivant.

Souvent tout se joue dans l'invisible. Nous pourrions croire que rien ne se passe, que le silence isole et que la douleur fige tout. Mais sous la surface, quelque chose « travaille ». Une phrase déposée la veille revient, un souvenir prend une autre couleur, une peur se détend sans que nous sachions vraiment pourquoi. Ce sont les signes de la germination intérieure. J'ai appris à m'y fier, à ne pas vouloir comprendre trop tôt.

Dans mon parcours, j'ai appris et retenu une chose : l'invisible a sa logique, sa sagesse.

Il y a aussi le temps de la terre, celui que nous avons oublié dans nos vies pressées. La fin de vie, le deuil, rappellent ce rythme-là.



La fréquence du vivant


En écrivant cela, je pense au rythme de la terre, autrement appelé résonance de Schumann. Les tambours traditionnels utilisés en accompagnement, en transe ou en rituels chamaniques jouent souvent autour de cette fréquence naturelle dit le battement de cœur de la terre (7,83 Hz). Évidemment, le tambour ne "joue" pas une fréquence unique mais crée des battements et des boucles rythmiques qui induisent des états de conscience modifiés (*). La plupart des rythmes utilisés sont entre 4 et 8 battements par seconde (Hz), ce qui correspond à des ondes cérébrales thêta (4–7 Hz) et alpha (8–12 Hz).

Ces rythmes permettent une synchronisation naturelle entre le cerveau humain et la vibration terrestre, d’où la sensation d’ancrage, de paix, ou de traversée intérieure.

Le temps n'est pas vide, il est plein d'un travail discret, celui de la transformation. Je le vois si souvent faire son œuvre. Les regards s'apaisent, les mains se relâchent et dans les mots cesse le combat. Au cœur de ce temps, au creux de cette terre, quelque chose se dépose, trouve sa juste place et s'enracine.


Thanadoula jouant du tambour chamanique en pleine nature, symbole d’ancrage, de rythme et de reliance à la fréquence de la Terre.



Ce que la vie nous confie


L'accompagnant ne fait qu'honorer le processus, écouter « comment ça pousse ». Il offre une présence, une qualité d'attention, un espace de confiance où rien n'est à forcer, rien n'est à sauver… J'aime à dire que j'accompagne « à laisser faire », et seulement tenir la terre ouverte, pour que la vie, même à la lisière de la mort, puisse encore faire son œuvre.


Et quand la germination se présente, c'est souvent autrement que nous l'avions imaginée. C'est parfois dans un éclat de rire au cœur d'une chambre d'hôpital, d'autres fois, dans un silence où tout est dit. C'est même longtemps après, dans un regard qui se souvient sans douleur.



Et le sens germe


C'est là que le sens germe : pas dans ce que nous prévoyons mais dans ce qui advient.


Me serais-je une nouvelle fois égarée, il faut dire que ce jardin est immense et empli de beautés… j'emprunte à nouveau l'allée centrale pour conclure cet article de blog qui je l'espère aura été pour vous une balade aussi agréable que la mienne.



Un jardin sans clôture


Ce jardin merveilleux dont je parle commence dans la rencontre de toutes ces terres offertes, de ces présences uniques qui se reconnaissent sans se confondre. C'est un jardin sans clôture, où chacun cultive à sa manière ce qui relie, ce qui console et fait mémoire. Un jardin nourri de nos expériences, nos doutes, nos espérances et de ce désir commun de redonner à la mort sa juste place dans la vie.


Champ de fleurs sauvages mêlant pissenlits jaunes et fleurs violettes sous un ciel bleu, symbole du vivant qui s’invite jusque dans les espaces urbains.


Dans ce jardin, j'aime à m'y promener car il n'y a ni maître ni élève, seulement des mains qui se tendent. Des humains debout au bord du monde, parfois fatigués mais toujours vibrants, reliés par ce fil invisible du cœur et du sens.


Chaque accompagnement ajoute une fleur, chaque passage un parfum. Rien n'est figé, tout se transforme, comme dans la nature.

Et peut-être qu'un jour, ceux qui viendront après nous verront pousser ce que nous avons aidé à semer. Ils y reconnaîtront la trace d'un geste ancien, la douceur d'une présence, la beauté simple d'un jardin où la vie continue, autrement et encore.

2 commentaires

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Invité
il y a 3 jours
Noté 5 étoiles sur 5.

Je fais le voeu, très chère Sylvie, que toutes les thanadoulas aient un jardin aussi beau, aussi merveilleux, aussi riche, aussi varié que le tien, celui qui est dans ton coeur, pour y accueillir toutes les personnes qu'elles accompagnent ...

Cet article plein de métaphores est magnifique ...

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Invité
28 oct.

Chère Sylvie, Chère(s) Thanadoula(s),


Je ne sais pas si c'est ici l'espace le plus approprié pour te (vous) faire part de mon sentiment à la lecture de tes réfléxions, mais tant pis, je me lance. Je sais qu'il n'y a ici que de la bienveillance.


Chère Sylvie, j'ai envie de t'applaudir pour tes mots qui porte ta grandeur. La grandeur de ton engagement et sa profondeur. Envie de t'applaudir parce que cela me fait à moi aussi du bien, tes mots.


Je suis heureux que les Flories vous ressemblent, vous inspirent. Heureux qu'elles puissent être un élément de continuité de vos actions, de vos effets, des mots que vous allez prononcer et de tous vos silences. Heureux comme le serait…


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