Ce que nos croyances disent de nous
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute
- 16 juin
- 9 min de lecture

Le sujet des croyances m'a toujours interpellée. Pourquoi croyons-nous ce que nous croyons ? Comment ces convictions influencent-elles nos choix, nos relations, notre rapport à la vie ou à la mort ? D'où viennent-elles ? Ma réflexion a commencé dès l'enfance dans le cadre de mon éducation catholique, et elle s'est approfondie au fil de mes formations et des expériences qui ont jalonnées ma vie. Certaines de ces expériences m'ont confrontée à l'inattendu, au mystère, parfois à l'inexplicable. Aujourd'hui encore, je continue d'explorer ce territoire mouvant, entre héritages, intuitions et transformations intérieures. C'est ce que je partage ici, non une vérité sur les croyances (ce serait malvenu), mais une invitation à les observer, les interroger, les vivre en conscience.
Qu'elles soient spirituelles, culturelles ou personnelles, les croyances façonnent notre manière d'être au monde. Elles influencent nos choix, nos comportements, et souvent même notre rapport à la vie et à la mort. Mais que sont-elles vraiment ? Et pourquoi est-il si important de les interroger, sans forcément les rejeter ?
Qu'est-ce qu'une croyance ?
Je commencerais par définir la croyance. Une croyance est une conviction que l'on tient pour vraie, sans nécessairement avoir de preuve objective. Elle peut reposer sur une expérience personnelle, une éducation, un héritage familial ou une intuition. Les croyances ne se limitent pas aux domaines religieux ou spirituels, elles peuvent concerner notre vision de nous-mêmes, des autres ou du monde.
Dans les croyances qui ont pu être les miennes, je me souviens de phrases telles que : je dois être gentille pour être aimée ; le monde extérieur est dangereux ; après la mort, il y a le jugement, etc.
Les croyances : des repères rassurants

Nos croyances ne sont pas de simples idées abstraites, elles nous offrent une structure intérieure. En cela, elles jouent un rôle fondamental, notamment dans les périodes d'instabilité ou de remise en question. Elles permettent de donner sens à ce qui nous arrive, d'organiser notre expérience du monde et de maintenir un sentiment de continuité, y compris quand tout vacille autour de nous.
Elles agissent un peu comme des balises sur un chemin inconnu. Elles orientent nos choix, apaisent nos doutes, donnent une cohérence à ce que nous vivons.
Dans des situations de crises, maladie, perte, rupture ou deuil, nos croyances sont souvent les premières ressources vers lesquelles nous nous tournons pour tenir bon.
Qu'il s'agisse d'une croyance spirituelle (l'idée de l'au-delà, d'une présence bienveillante, d'un destin qui a du sens) ou d'une croyance plus personnelle (la conviction que je peux traverser cette épreuve ou rien n'arrive par hasard), elles nous aident à supporter l'incertitude et parfois l’inacceptable.
Elles n'évitent pas forcément la douleur, mais elles la rendent supportable et surmontable. Elles offrent un cadre, un langage, une manière de vivre l'épreuve. C'est en cela qu'elles ont une fonction de soutien psychique précieuse : elles nous aident à rester debout quand le sol semble se dérober sous nos pieds.
Mais aussi des filtres
Si les croyances peuvent offrir un socle, elles fonctionnent aussi comme des filtres à travers lesquels nous interprétons le monde, c'est ce que je nomme « grille de lecture ». Elles influencent nos réactions, nos jugements, nos décisions, parfois à notre insu. Elles créent des attentes, façonnent nos perceptions, et nous amènent à privilégier certaines expériences au détriment d'autres.
Par exemple, si je crois que «les gens finissent toujours par m'abandonner », je risque d'interpréter le moindre silence ou désaccord comme un signe de rejet. Cette croyance va non seulement colorer mon ressenti, mais peut aussi inconsciemment orienter mes comportements… jusqu'à parfois provoquer ce que je redoute. C'est ce qu'on appelle une prophétie autoréalisatrice* (effet Pygmalion). Cette dernière se définit comme un phénomène psychologique dans lequel la croyance ou l'attente, même fausse au départ, finit par se réaliser simplement parce qu'on y croit.
Si je reprends la croyance les gens finissent toujours par m'abandonner, même si ce n'est pas objectivement vrai, elle peut avoir une influence sur mes comportements (distance, méfiance, interprétation de signes de rejet, mise à l'épreuve de l'autre, repli) qui finissent par épuiser l'autre ou le faire fuir. La croyance est alors validée voire renforcée.
Certaines croyances agissent comme des carapaces protectrices : je dois me débrouiller seul(e) ; il faut être fort(e) ; pleurer, c'est pour les faibles. Elles ont pu nous aider à survivre à une époque, mais finissent parfois par nous isoler ou nous empêcher de demander du soutien. D'autres encore peuvent devenir des normes intérieures rigides qui dictent ce qui est acceptable ou non dans nos émotions, nos choix de vie, ou nos manières de traverser une épreuve.
Quand ces croyances ne sont pas interrogées, elles deviennent des automatismes de pensée.
Elles restreignent notre champ d'action et peuvent même renforcer la souffrance, surtout dans les moments de crise existentielle comme un deuil, une rupture, ou une perte de sens.
Je vous l'accorde, les identifier n'est pas toujours évident, car elles se cachent souvent derrières des mots simples, des habitudes : je suis comme ça ; c'est la vie, je n'ai pas le choix. Et pourtant, les reconnaître est un premier pas vers une plus grande liberté intérieure.
Entre fidélité et liberté
Nous pourrions dire que « nous ne naissons pas vierge de croyances ». En effet, nous en héritons, souvent sans même en avoir conscience. Elles nous viennent de notre famille, de notre culture, de notre éducation, de notre environnement social et religieux. Elles façonnent notre vision du monde dès les premiers instants, posant des repères qui structurent notre manière de penser, de ressentir, d'agir. Nous restons fidèles à ces croyances car elles représentent un moyen de rester en lien avec nos origines, nos racines, notre histoire. Elles peuvent être une forme de loyauté implicite envers ceux qui nous ont précédés, comme si y renoncer revenait à les trahir.
Mais la fidélité peut aussi se poser dans une forme d'enfermement. Certaines croyances, à mesure que nous évoluons, peuvent commencer à restreindre notre élan de vie, entretenir la peur, la culpabilité ou la dépendance. C'est là que le travail sur soi prend tout son sens. Il ne s'agit pas de tout rejeter, mais d'examiner, de questionner, de trier. Quelles croyances nous soutiennent encore aujourd'hui ? Lesquelles nous empêchent d'avancer ? Qu’est-ce que nous continuons de porter, par habitude, par devoir, par peur, sans que cela nous corresponde vraiment ?
Cette démarche demande du courage, car elle confronte à la perte symbolique de certains repères. Mais elle ouvre aussi à une liberté nouvelle, celle de choisir consciemment nos croyances, ou même de nous autoriser à ne pas en avoir qui resteraient figées. C'est une manière d'assouplir et d'apaiser les injonctions intérieures, de nous rapprocher de nous-mêmes.
Devenir plus libre, ce n'est pas renier notre héritage, mais apprendre à le regarder avec lucidité et à en faire quelque chose de vivant, de pleinement incarner, c'est à mon sens « devenir l'artiste de sa vie ».
Vers une posture intérieure d'ouverture

Plutôt que de chercher sans cesse à « avoir raison », il peut être préférable de cultiver une posture d'ouverture. Cette posture ne repose pas sur le renoncement à penser ou à croire, mais sur la reconnaissance que plusieurs vérités peuvent coexister, et qu'aucune ne détient à elle seule l'entièreté du réel. Ce que nous considérons comme vrai peut évoluer avec le temps, l'expérience, les épreuves aussi. Ce qui fait sens pour l'un peut sembler absurde à un autre, et pourtant, chacun y trouve un appui qui l'aide à avancer.
Certaines croyances ne sont peut-être pas à prendre au pied de la lettre, mais à accueillir dans une lecture symbolique. Elles nous parlent avant tout de notre manière intime de relier les choses, de chercher du sens, de tisser un fil dans l'invisible. Dans cette optique, il ne s'agit plus de prouver ou de convaincre, mais d'écouter ce que ces croyances révèlent de notre humanité.
J'aime beaucoup, la phrase suivante. Certains sauront que je souris l'écrivant.
C'est là que le mystère rejoint la sagesse.
Accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas tout maîtriser, demande une certaine humilité, mais aussi une grande force intérieure.
Je vous en parlais dans mon dernier article « Comprendre pour se rassurer… ou accueillir le mystère ? ». Cela ne signifie pas renoncer à la quête de sens, bien au contraire, c'est plutôt choisir de rester en lien avec ce qui nous dépasse, sans chercher à le réduire à des certitudes. Dans cette ouverture, le doute n'est plus une menace, mais un espace vivant où peuvent s'entrelacer intuition, silence et émerveillement.
Mort et deuil : quand les croyances deviennent refuge… ou conflit
Face à la mort, nos croyances remontent souvent à la surface. Elles viennent habiter les silences, combler les vides, ou au contraire nous confronter brutalement à ce que nous ressentons. Les croyances liées à ce qui se passe « après » la mort - qu'il s'agisse d'un au-delà, d'une réincarnation, d'une fusion dans le grand tout ou d'un simple retour à la matière – peuvent offrir un apaisement. Elles dessinent une forme à l'inconcevable, permettent de mettre du sens là où la raison reste impuissante. Elles deviennent alors un refuge symbolique, un soutien invisible pour traverser la douleur.
Ce même terrain peut aussi devenir celui du conflit.
Conflit intérieur, d'abord, entre ce que nous pensons devoir croire parce que cela nous a été transmis, enseigné, inculqué, et ce que nous ressentons vraiment dans notre corps, dans notre cœur. Il y a parfois un écart douloureux entre la croyance intellectuelle et l'expérience vécue. Ne vous êtes-vous jamais surpris à douter, à rejeter, à vous révolter contre des représentations pourtant longtemps adoptées. Le deuil agit alors comme un révélateur : il met à l'épreuve les certitudes, il fissure les fondations, il oblige à réexaminer ce qui jusque-là semblait stable.
Il peut également y avoir un conflit relationnel. Dans les familles, les cercles proches, des visions différentes de la mort peuvent s'affronter, parfois dans le silence ou l'incompréhension. L'un parle d'âme, l'autre parle du néant, un troisième refuse d'en parler. Chacun tente de faire tenir debout ce qui est ébranlé, avec ses mots, ses symboles, ses silences.

Le deuil devient ainsi un moment propice, bien que souvent inconfortable, à une remise en question profonde. Il invite à revisiter nos croyances avec sincérité, sans chercher à se raccrocher à des réponses toutes faites. Il ne s'agit plus alors d'avoir raison ou de savoir, mais d'accueillir ce qui se vit, avec humilité. En ce sens, le deuil peut également, surtout s'il est accompagné, devenir un espace de transformation intérieure, où les anciennes croyances se transforment ou s'effacent, pour laisser place à une nouvelle grille de lecture de la réalité imposée.
Nos croyances ne sont pas figées, elles évoluent avec nous.
Afin de les connaître, de grandir, et d'entrer dans une relation plus souple avec le monde, il nous faut les observer avec curiosité et bienveillance. Pas de procès !
Puisque j'ai abordé ces sujets dernièrement, que cela est revenu lors des dernières journées de formation, et que sur Facebook, la question a été posée en commentaire, j'ai envie d'ajouter quelques mots sur la différence que je perçois entre la pensée magique, la croyance et l'intention.
Pensée magique, croyance et intention : trois réalités distinctes
La pensée magique, la croyance et l'intention sont, pour moi, des notions proches dans certains contextes, néanmoins il me semble utile de les distinguer.
La pensée magique désigne une manière de penser dans laquelle une personne attribue à ses pensées, gestes et paroles un pouvoir direct sur la réalité, sans lien rationnel ou causal. Elle repose sur l'idée que « penser quelque chose » ou « accomplir un rituel » pourrait suffire à modifier le cours des choses. Ce mode de pensée, fréquent chez l'enfant ou dans des situations émotionnellement intenses (deuil notamment), peut aussi réapparaître chez l'adulte pour apaiser l'angoisse ou donner du sens à l'inexplicable. J'y vois une forme de protection psychique face à l'impuissance.
La croyance, comme je l'ai déjà mentionné dans cet article, est une conviction tenue pour vraie, elle repose sur des faits ou non. Elle structure notre vision du monde et influence nos comportements, nos choix, notre manière de ressentir les choses. Les croyances peuvent être conscientes ou inconscientes, individuelles ou collectives, aidantes ou limitantes. Elles sont des filtres au travers desquels nous interprétons la réalité. Nos croyances comme « tout a un sens » ou « la vie est juste » influencent naturellement nos projections, notre vécu.
Enfin, poser une intention, pour moi, ne relève ni de la pensée magique, ni de la croyance. Il s'agit d'un acte de présence à soi, une direction intérieure que nous choisissons consciemment de suivre, sans attente de résultat immédiat ni volonté de contrôle. C'est quelque chose que j'utilise dans mes accompagnements, en début de séance, je demande à la personne de définir son intention, cela permet de donner une direction et un cadre à nos échanges.
Lorsque nous formulons une intention, c'est comme si nous définissions un cap intérieur qui oriente d'ailleurs, plus notre posture que nos attentes. L'intention agit comme un ancrage, elle mobilise notre attention et donne une teinte particulière à nos actes.
Distinguer ces trois réalités permet d'éviter la confusion entre un pouvoir imaginaire sur le monde, un système de représentations parfois hérité, et une démarche volontaire, ancrée dans le présent.
Si je devais résumer, je dirais que là où la pensée magique cherche à agir sur la réalité par des moyens symboliques, la croyance cherche à expliquer la réalité, et l'intention, elle, propose de s'engager dans une direction, en conscience.
Suite aux journées de formation Suivi Thana, et aux échanges riches entre nous, je terminerais mon article de blog avec cette réflexion.
En osant interroger nos croyances, nous ouvrons un espace vivant entre certitudes figées et intuition profonde. Un espace où la liberté intérieure devient alors possible.
Nous ne voyons pas le monde tel qu'il est, mais tel que nous croyons qu'il est.
* Prophétie autoréalisatrice, mécanisme psychologique.
Croyance initiale : ce que je pense ou attends.
Comportement influencé par la croyance.
Réaction de l'environnement en réponse au comportement.
Confirmation apparente de la croyance de départ.
Concept du sociologue Robert K. Merton, année 1940 - « une définition fausse de la situation qui suscite une nouveau comportement, lequel rend la définition initiale vraie. »
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