Lorsque j'ai choisi de modifier mon activité professionnelle en axant mon accompagnement sur la mort et le deuil, ainsi que sur les deuils naturels et symboliques de la vie, j'ai senti que le tambour chamanique avait sa place dans l'aventure. Et même si je pense que nous sommes l'outil parfait pour nous-même, il est évident que certaines situations ne nous permettent pas de nous investir autant qu'à l'accoutumée et que de recevoir de l'aide extérieure est la seule solution possible. C'est bien souvent le cas sur ce chemin si particulier qu'est celui de la fin de vie et celui si bouleversant du deuil.
Après de nombreuses années de pratique et d'accompagnement dans le domaine, je peux attester que le tambour ouvre un espace précieux à différents niveaux. Tout d'abord son écoute et sa pratique initient aux états modifiés de conscience. Ils amènent à élargir son champ de conscience, à s'habituer à sortir des limites de son propre corps et surtout à se détendre et apprendre ainsi à calmer le mental et juste se laisser aller. Ensuite il est un puissant soutien dans l'expression des émotions et même parfois dans leur révélation. Enfin il peut être un compagnon de vie fidèle et honnête venant nous offrir le reflet parfait de là où nous en sommes à l'instant T.
Et même si aujourd'hui, il prend moins de place dans mon accompagnement thérapeutique, il n'est jamais bien loin, prêt à être au service, tantôt réconfortant, tantôt percutant.
Ce qui a motivé l'écriture de cet article de blog, c'est l'expérience vécue ces deux derniers jours avec Florence lors de la conception de son tambour.
Avec son autorisation, je pose ces quelques mots sur notre rencontre, illustrés par les photos prises lors de ces deux jours de Création de tambour chamanique. Après la relecture, je me rends compte que c'est sous la forme d'un récit que cet article a pris vie.
La création de tambour chamanique, la mort et le deuil
Florence a eu mon contact par son amie Delphine. J'avais accompagné cette dernière ainsi qu'un de ses fils à créer leurs tambours il y a déjà quelques années me semble-t-il. Elle m'explique son désir d'avoir un tambour dans sa vie en mentionnant qu'il serait d'une grande utilité pour elle et ses enfants dans l'épreuve qu'ils traversent.
Honnêtement, je ne me souviens pas vraiment si elle a mentionné le mot « deuil » mais en raccrochant de notre entretien téléphonique, j'ai compris que notre rencontre allait s'ouvrir sur l'alliance de mes connaissances et mes compétences dans les domaines de la confection de tambour chamanique et le processus naturel psychique du deuil.
Le processus de création de tambour chamanique tel que je l'aborde est avant tout au service de l'être et de sa rencontre avec lui-même. Il lui permet de comprendre des choses importantes et d'acter immédiatement dans la matière cette compréhension ou la résolution du blocage. Le processus créatif a ce pouvoir, il mobilise le mental, laissant la place à l'inconscient et à ce qu'il est prêt à révéler.
Dans ce champ de création, je laisse beaucoup de place à la symbolique que j'ai posée à force d'expériences. Aussi, chaque étape de la confection de notre tambour vient nous parler de notre rapport à nous-même dans ce que nous sommes et dans notre rapport au monde et à la vie.
Et quand cette symbolique vient en écho à ce qui se vit de plus proche dans le temps, de plus intime dans la relation, il est évident que l'impact est fort.
Fort ne veut pas dire violent et je souligne ici que ces deux jours ont été bercés de douceur et de calme. Alors qu'elle vit son deuil et accompagne celui de ses enfants suite au décès de son mari, Florence aspire à ce moment d'elle à elle, essentiel et indispensable pour affronter cette nouvelle réalité. Elle accepte déjà le mouvement induit par le processus de deuil engagé, celui de l'oscillation entre ces deux bulles, celle de la perte et celle du réinvestissement. Je suis touchée par sa douce puissance, la force de son ouverture d'esprit et de cœur.
Ensemble, nous engageons le processus de création et de rencontre de soi à soi. Un premier voyage au son du tambour l'invite à la rencontre des éléments qui composeront son tambour et sa mailloche.
Puis nous partons en direction de la crique près de chez moi où la cérémonie de l'eau aura lieu. Il fait beau et doux. Florence s'installe sur un rocher et met la peau à tremper dans la mer. L'eau symbole de vie, de fluidité, d'immensité, de mouvement. Elle vient réanimer cette peau, réanimer ce qui s'est peu à peu éteint en elle. L'eau apporte aussi la transparence -vision plus clair de ce qui est- et la souplesse donnant ainsi l'occasion à la peau de s'unir et d'épouser le cadre choisi ; elle symbolise aussi notre capacité à nous adapter. Je rappelle ici que l'adaptabilité est notre ressource première. La peau du tambour représente le féminin que nous portons, cette capacité à accueillir, à recevoir et à s'adapter. Tout ceci est revigoré par l'eau vive et son mouvement.
Les petites vagues proposent une danse à cette peau observée avec tendresse et attention. Florence prend son temps au milieu des rires et des discussions d'enfants, c'est les vacances et quelques enfants se baignent ou jouent sur la plage avec leurs mamies.
Nous rentrons à la salle où nous attendent le bois pour la mailloche et le cadre. Florence laisse sa peau en autonomie dans le bac d'eau douce. Elle va maintenant s'occuper du masculin qu'elle porte. Elle prend en main le cadre en chêne qu'elle a choisi et qui s'est imposé à elle. Elle le nourrit en remarquant ses marques, ses nœuds, ses failles et aussi sa douceur et sa densité. Ce cadre imposant représente sa sécurité, un cadre sur lequel se reposer. Il évoque les limites qu'il lui faut poser et respecter pour pouvoir se mouvoir sereinement.
Puis vient le temps de la création de la mailloche, également expression du masculin mais dans l'énergie du mouvement et de la mise en action.
Le temps de la pause est venue. Regards, sourires et discussions rejoignent les mets apportés pour nous sustenter.
La création de tambour chamanique
Nous reprenons, place à la création du lien ! Florence choisit la couleur de son cordage de base, celui qui sera visible à l'extérieur et avec lequel elle confectionnera le cœur de son tambour. Tranquillement, elle se saisit des informations que je lui donne et avec fermeté et fluidité, elle met en place le cordage et la tension nécessaire à la résonance de son tambour. La nature de la peau choisie lui donne à associer force et délicatesse. Elle sourit quand je parle de cette association. C'est tellement ce qu'elle a à engager d'elle-même et aujourd'hui, elle n'a plus d'autre choix que de le faire. Nous terminons là pour aujourd'hui. Le tambour sera finalisé le lendemain.
Il passera la nuit auprès de Florence, la nuit symbolisant la naissance avec le passage de l'ombre à la lumière.
Lors de cette première journée, le tambour de Florence a pris forme.
Il faudra attendre le lendemain pour entendre son cœur battre.
La mort et le deuil
Lors de cette première journée, Florence a pu parler, elle est revenue librement sur son histoire, elle a exprimé dans ses mots, dans son corps la violence du traumatisme.
Nous avons échangé sur le choc de l'annonce, la situation intolérable, la sidération et sa puissance, la force mobilisée pour rester présente à ses enfants, les émotions, l'incompréhension... et la vie qui continue.
Ce second jour démarre comme le premier. Nous nous saluons et nous échangeons autour d'une boisson chaude. La discussion reprend comme si nous ne nous étions pas quittées la veille. Florence semble néanmoins plus détendue et plus ouverte aussi à aller un peu plus en profondeur dans ce qui est là pour elle. Seuls les sentiments de sécurité et de confiance peuvent faire tomber les barrières et permettre de se laisser aller librement.
La matinée continue avec la décoration et la finalisation du tambour et de la mailloche. RAS pour la mailloche. Le tambour propose quant à lui, et avec surprise, une continuité dans la création du lien. En effet, Florence défait et reprend certaines des branches de son cordage, ce qui amène à une modification esthétique de celui-ci. Dans ce processus engagé, c'est le sujet des enfants, de ce qu'ils vivent individuellement et sa relation à eux qui prennent place. Ensemble, nous abordons cela sereinement.
Florence prend le lien, le défait, défait en même temps les schémas établis, les fonctionnements ancrés puis elle tisse et retisse avec fermeté ses nouvelles perspectives et solutions.
Ce temps ouvert à ce tissage, offre un espace de discussion profonde sur les différents sujets la préoccupant. Je reste toujours émerveillée de la puissance de ce processus qui s'engage entre la personne et le tambour.
De cela naît la magie : et la magie du moment pousse Florence à fixer quatre bandes d'un tissus qu'elle a elle-même amené. Comme vous pouvez le constater sur la première photo de cet article, il est totalement assorti aux couleurs de son tambour. Incroyable ! Et en voyant flotter ces rubans, l'émotion s'invite : ils représentent ses enfants !
Le temps file... en voilà un autre sujet. Nous en parlerons lors de la pause.
L'après-midi déjà bien entamé, nous passons à la sacralisation. Florence va enfin rencontrer son tambour dans son son, sa vibration et leur résonance. Magique ! Cette « petite peau délicate » envoie un son d'une profondeur incroyable, elle chante et nous enveloppe entièrement. Florence vit cette rencontre comme un voyage -elle a l'habitude-. A son retour, nous échangeons sur ce qu'elle a vécu, son ressenti. Je lui partage le mien.
Je prends le temps de lui transmettre quelques informations qui pourront lui être utiles lors de l'utilisation de son tambour.
L'accompagnement de la fin de vie
Et un nouveau cadeau se présente. Un échange inattendu !
Florence me dit que le sujet de sa thèse pour valider son cursus de formation professionnelle avait été « La fin de vie des enfants malades ». La discussion reprend de plus belle sur le sujet de l'accompagnement de la fin de vie, du deuil, de son importance. Elle me partage son expérience professionnelle et humaine, sa vision de cet accompagnement précieux et des tensions que cela peut générer même dans des services médicaux côtoyant la mort ; l'incompréhension de ses référents face au choix de ce thème et leurs démarches pour la faire dévier sur un thème plus acceptable : la maladie. ; l'émotion de l'assitance à la présentation de son mémoire. Je suis touchée. Je la remercie ici encore de ce moment de communion dans notre échange.
La voilà repartie dans sa montagne, là où elle a su créer un environnement adapté à ses enfants, là où elle peut se ressourcer et respirer, oui respirer. Elle repart accompagnée de ce tambour, son tambour et aussi toutes ses prises de conscience, ses engagements avec elle-même. Elle est repartie avec son tambour comme soutien, comme booster et comme miroir honnête de ce qui se cache parfois encore en elle. Elle connaît le chemin pour voyager dans l'invisible, là où tous les messages sont accessibles. Je lui souhaite de pouvoir explorer tout ce qu'elle porte à travers la connexion à son tambour, qu'elle libère ce qui doit l'être, renforce ce qu'elle a déjà bâti et accompagne son processus de deuil ainsi que celui de ses enfants avec le plus d'apaisement possible.
La création de tambour chamanique au service de la fin de vie et du deuil
Pour ma part, je mesure combien mon accompagnement du processus de création de tambours chamaniques permet qu'il prenne place dans cette rencontre de soi à soi engagée.
J'ai plusieurs idées de comment lui faire prendre pleinement sa place dans le travail de deuil et même dans le cheminement de la fin de vie. La force de mon accompagnement est ma capacité d'adaptation, alors chaque accompagnement appellera à modifier la forme à partir de laquelle nous aborderons les enjeux et les besoins de la personne.
Le travail s'axera sur le lien : le lien à la vie, le lien à la mort, le lien aux autres, le lien à soi, à ses émotions etc... pour une déclinaison à l'infini et ça, j'adore.
« Accompagner quelqu'un, c'est se placer ni devant, ni derrière, ni à la place... c'est être à côté. » - Joseph Templier
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