
C'est la deuxième année que nous organisons le voyage rituel en mémoire de notre père et grand-père. C'est un voyage en famille, programmé la semaine anniversaire de sa mort et qui honore avant tout ce qui comptait le plus pour lui : notre lien d'amour. L'année dernière, nous sommes partis à 10 à Séville et cette année à 7 pour Vérone. C'est un espace ouvert, libre : qui peut et veut vient…
Cela me ramène à cette proposition que j'avais faite après le décès de ma grand-mère : un repas au restaurant pour nous retrouver tous à cette date anniversaire, celle de sa mort. Je suis touchée de constater que 23 ans plus tard, nous arrivons toujours à être présents pour ce rendez-vous.
Ces deux rendez-vous se posent aujourd'hui comme des rituels. Ils sont une commémoration des années partagées avec nos défunts. Ils sont le témoin de cette immuable joie que nous avons à nous retrouver et de notre plaisir de partager encore et encore des moments précieux dont nous savons aujourd'hui encore plus qu'hier qu'ils sont d'une grande importance.
Ici nous retrouvons bien le sens profond du rituel qui suscite par un acte commun, symbolique ou sacré un engagement émotionnel afin de répondre à une même aspiration.
Parfois les circonstances font qu'un rituel créé dans une intention précise marque la célébration d'autres événements. C'est le cas pour les rituels dont je viens de vous parler. Chacun d'eux vient célébrer le début d'un nouveau cycle, joli clin d’œil, non ?! En effet, pendant de nombreuses années, le rituel en l'honneur de notre Mémé annonçait la rentrée des classes, le mois de septembre garde encore cette notion de reprise après la période estivale, et celui de notre père proclame notre « oui » à la nouvelle année qui se présente.
Je trouve fascinant ce qu'un acte simple porte de richesses.
Le rituel dans le quotidien
Nous vivons dans un monde où tout est ritualisé. Notre quotidien est rythmé de rites bien souvent banalisés. Peut-être parce qu'ils sont, pour beaucoup, dictés par les codes de la société. Ils finissent par devenir des habitudes, nous agissons ou pensons de façon mécanique. Et tels des robots, nous perdons la saveur et le sens de ces rites. Combien d'entre nous se sentent prisonniers de leur routine ?
Où quand « se lever le matin » n'est plus qu'une contrainte d'aller au travail…
Pourtant si nous faisions un pas de côté, si nous prenions le temps de remettre de la symbolique ou du sacré dans nos actes, nous pourrions voir la beauté de l'ordinaire, nous redonnerions de la valeur à la simplicité. Petite note : quand je parle de symbolique et de sacré, j'entends de sens et de considération.
Où quand « se lever le matin » est un oui à la vie, une chance de profiter encore, d'aimer…
En relisant ce paragraphe, je repense aux petits-déjeuners de mon enfance que nous prenions tous les cinq ensemble. Je revois la table mise et garnie de nos bols, du chocolat chaud fumant, des tartines grillées et beurrées par mon père. Bien sûr qu'à l'époque, je ne voyais qu'une journée d'école commencer pourtant il y avait tant d'autres choses dans ce rituel familial de début de journée, comme dans celui du repas du soir également partagé.

Une réflexion est là, je me dis que si nous avions pleinement conscience de l'importance de ces moments, si nous prenions le temps de voir le sens que cela a pour nous de vivre les choses de telle ou de telle façon et si nous en parlions avec ceux avec qui nous les vivons… peut-être que nous cesserions, en partie du moins, d'être insatisfaits, de nous sentir « pauvres » et de toujours vouloir chercher l'extraordinaire.
Les rites de passage
Généralement, les rites de passage sont des cérémonies venant marquer, comme son nom le laisse présager, un passage de vie. Cela peut être au niveau social mais aussi au niveau sexuel. Ils restent primordiaux pour certains peuples, j'ai pu notamment le constater au Kenya, chez les Maasaï.
Chez nous, les rites de passage n'ont plus beaucoup de place. Pourtant chaque étape de vie a son importance et mérite d'être célébrée. Ces rites peuvent vraiment être vécus comme une marque de reconnaissance dans l'évolution d'un être humain. Et, si nous cessions de voir la vie comme une promesse d'éternité, nous célébrerions à sa juste valeur chaque anniversaire.
Nous cherchons par tous les moyens à donner de la valeur à notre vie, à nos actes tout en négligeant l'importance et la préciosité d'une année écoulée.
Nous cherchons de la valeur et de la reconnaissance dans nos actes sans jamais nous féliciter des étapes franchies. Je parle là aussi des étapes dîtes de l'évolution naturelle : naître, marcher, parler et tout ce qui s'ensuit…
Ceci m'emmène ailleurs. Cela fera l'objet d'un autre article, je pense. Je reviens au sujet abordé dans cet article de blog sur les rituels.
Personnellement, je vois la puissance des rites de passage. Je perçois l'impact qu'ils ont dans cette notion chère à mon cœur du « seul ensemble ». Ils peuvent se décliner de façon personnelle, selon ses propres codes familiaux, culturels, selon ses propres valeurs. Ils viennent permettre à chacun de prendre sa place de témoin, de soutien dans ce que l'autre vit, lui offrant avant tout un cadre sécure, celui de l'appartenance et aussi le reflet d'un regard bienveillant, empreint de force.
Le rituel : la fin de vie, la mort et après…
A cet endroit, je vais explorer avec vous la place du rituel dans un espace de fin de vie. J'aime à donner une place significative aux rituels dans mes accompagnements. Et même si j'apporte une connaissance symbolique des actes proposés, elle se veut de rester ouverte aux connaissances, croyances et valeurs de chacun. Je n'oublie pas que le rite est au service de la personne qui le réalise et qu'il est uniquement au service de son intention.

Je crois avant tout à la force et à la beauté d'un acte simple, épuré dont la neutralité permet à chacun de s'en saisir et de l'imprégner de ce qu'il porte. Ainsi chacun vient avec sa notion du sacré et le sens qu'il veut donner à cette initiative.
J'ai pu constater, me concernant mais également dans l'accompagnement de personnes, que cette notion de sacré évolue énormément tout au long de la vie. Ainsi, de mon côté, ma perception du sacré est passée de l'inaccessible et de l'extraordinaire (éducation religieuse) à l'émerveillement et l'ordinaire.
Le rituel et la fin de vie
Le chemin de fin de vie est bien souvent une succession de petites morts, comme on dit. Les rituels sont la matérialisation d'intentions. Leur puissance est décuplée par la force de la croyance de la personne réalisant le rite. Et sa volonté est soutenue par une preuve matérielle que quelque chose a bien été fait.
Dans cette période complexe, les rituels peuvent servir de rampe à laquelle se tenir pour continuer d'avancer. En ce sens, des rituels journaliers peuvent être mis en place. Ils permettent de garder le contact avec la réalité du quotidien ou encore d'offrir des espaces suspendus dans un quotidien envahi par des interventions extérieures diverses, rendez-vous médicaux ou autres.
Dans cette période difficile, les rituels donnent lieu à des regroupements familiaux ou amicaux, à des échanges. Ils donnent la possibilité de créer des souvenirs, des empreintes durables de moments ultimes partagés, co-créés.
Le rituel et la mort
Depuis la nuit des temps, des rituels accompagnent la mort. Ils sont propres à chaque culture et aujourd'hui en Occident, ils sont très souvent le reflet des croyances et des envies du défunt. Ils peuvent même être notifiés lors de la planification de fin de vie. Je vous ai parlé de cette démarche dans un article que vous pouvez retrouver ici.
Ainsi la mort en elle-même ou la veillée du corps peut être enveloppée de silence ou de musique, éclairée par des bougies, égayée par la présence de fleurs ou encore personnalisée par la présence d'objets comptant pour la personne décédée.

Pour ma grand-mère, la veillée a eu lieu chez elle, nous étions en silence, dans le noir, seules quelques bougies laissaient échapper une lueur dansante.
Pour mon père, nous avons chanté « les copains d'abord » de Georges Brassens, chanson qu'il adorait et qui a bercé nos dimanches matin, au retour de la messe.
Le rituel et la cérémonie funéraire
Là encore, les rituels diffèrent selon les croyances, les cultures aussi. Lors de la cérémonie funéraire, les rituels sont pour moi, les moments de communion, ils invitent à une attention commune lors d'un acte défini. Ils induisent le recueillement où les émotions s'expriment, où les souvenirs s'animent, où les cœurs battent à l'unisson, hommage puissant fait au défunt.
Lors de la cérémonie, qu'elle soit religieuse ou laïque, les rites comprennent des lectures, des musiques, des gestes comme le dépôt de fleurs sur le cercueil et autres…
Les messes traditionnelles ont leurs propres rituels, très codifiés. Elles ne laissent pas de place à la personnalisation des témoignages et des gestes à l'attention du défunt. C'est différent pour les cérémonies religieuses, plus personnelles.
Le rituel et l'après
Les rituels sont précieux après le décès et les funérailles. Je vous en ai partagé plusieurs tout au long de cet article. Nous en avons d'autres, comme ce repas « à la bonne franquette » avec un bon vin rouge, pris ensemble le jour anniversaire de la mort de mon père…
Ils incitent au souvenir et à la commémoration. Ils peuvent avoir lieu à la date anniversaire de naissance ou de mort de l'être cher voire à d'autres moments.
Ce sont là encore des espaces de recueillement, de regroupement. Ils honorent la vie partagée et l'amour porté à la personne décédée.
Ils sont maintenus pour ne pas oublier, pour garder le lien et garantir une place privilégiée à la personne disparue.
Les rituels
Dans un précédent article « Célébration funéraire », je projetais ce que pourrait être la célébration funéraire en mon honneur, j'y avais noté un rituel inventé par moi-même : « Alors que les porteurs de tambour se mettent à jouer, chaque personne souhaitant participer au rituel d'au revoir se lève et vient près de l'urne. Il écrit de son doigt dans l'air et l'invisible où je serai déjà et dans l'éphémère, témoin de mon passage, le mot qu'il souhaite déposer à mon attention. »
Un autre rituel que j'aime particulièrement est celui de la barque. Cette barque est matérialisée par une coque de bignone (fleur). Ce rituel peut être individuel ou collectif. La coque est prise dans ses mains, un temps est accordé à la transmission de l'intention comme pour la déposer au cœur de ce petit bateau prêt au voyage. Puis vient le moment du départ, la barque est confiée à la mer ou la rivière selon l'environnement. Je ne m'étalerais pas sur la symbolique confiée lors de la réalisation du rituel mais je voulais juste vous en donner l'image et pourquoi pas l'idée.

Les rituels sont une voie à la créativité.
Le rituel : rencontre et communication
Je terminerais cet article de blog sur les rituels en soulignant l'importance des rites dans leur capacité à fédérer, à ouvrir des espaces de rencontre et de communication. Ils sont une porte à pousser pour accéder à la création de moments forts et partagés, de souvenirs prégnants et indélébiles.
Ce que j'aime avant tout dans les rituels, c'est la simplicité avec laquelle ils peuvent prendre place, prendre vie et animer naturellement tout ce qui doit l'être en nous et entre nous.

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