Le chemin de fin de vie nous conduit vers notre mort physique, c'est une certitude me direz-vous ! Mais savez-vous que ce chemin qu'est la fin de vie se compose d'une succession de deuils à faire. Des deuils parfois symboliques, parfois réels. Ils sont à faire par la personne en fin de vie elle-même et par les proches aussi.
Ce chemin, en tant que thanadoula, je l'accompagne. Je mets mon savoir-être et mon savoir-faire au service du mourant et de sa famille. Le savoir-être permet d'offrir une présence attentive, toujours à l'écoute de la réalité vécue par la personne accompagnée et ceux qui l'entourent. Une présence neutre pouvant répondre aux demandes, même silencieuses. Le savoir-faire, lui, contribue à donner corps aux réponses apportées mais aussi à des propositions concrètes à partir d'outils divers pour soutenir le processus engagé pour chaque personne impliquée.
Dans le dernier article de blog "Un toucher sacré pour accompagner la fin de vie", je vous parlais de l'importance du toucher comme stratégie d'apaisement. Ici, je vais vous parler du processus créatif. Ce processus, je le connais bien puisqu'il est mon compagnon de vie depuis de très nombreuses années. Personnellement, il s'est révélé à moi par la peinture, je vous en ai également déjà parlé dans mes articles de blog, "La peinture, chemin initiatique". Elle occupe encore une place de choix dans les outils que j'utilise dans mes différents accompagnements. Le protocole créé il y bien longtemps maintenant s'adapte merveilleusement bien aux domaines dans lesquels j'interviens. J'avoue qu'il m'a suivi dans mes envies et mes projets, allant d'interventions en école, en maison de retraite, au CDIFF à Toulon, en centre d'accueil pour les jeunes filles mères à Marseille, en entreprises... à des ateliers individuels ou collectifs thérapeutiques etc..
Les différents deuils à faire sur le chemin de fin de vie
Les deuils engagés sur le chemin de la fin de vie sont multiples et très personnels. Ils viennent prendre place dans des différents domaines. Néanmoins le déclencheur le plus fréquent est la perte d'autonomie, qu'elle soit physique ou psychique. La perte de capacité active le processus de deuil dans la transformation que vit le mourant. Et chaque pas fait dans la traversée du deuil vient impacter son moral, sa confiance, son estime de lui, sa relation à la vie, aux autres, à son environnement. Et par ricochet, l'entourage est percuté et bien souvent bouleversé par son impuissance.
Ces deuils successifs sont également appelés « petites morts ». En effet, la personne en fin de vie doit dire adieu à ce qu'elle a connu d'elle, ce qu'elle pouvait faire, ce qu'elle pensait pouvoir faire toujours, etc. Il en va de même pour la famille et les accompagnants. Ils doivent dire adieu à ce qu'ils connaissaient de leur proche, accepter qu'il ne pourra plus jamais faire ceci ou cela.
Ces « petites morts » demandent à être considérées et accompagnées. C'est même très important de le faire car c'est souvent leur reconnaissance qui détermine la qualité de l'environnement d'accueil de la fin de vie.
Les bienfaits du processus créatif dans l'accompagnement de la fin de vie
Le processus de création est avant tout un moyen d'expression. Il ouvre à une double communication, une communication verbale dite classique et une autre symbolique. La deuxième s'adresse plus particulièrement à l'inconscient. Ceci peut permettre de contourner ou d'assouplir les résistances. Tout nous parle dans ce processus : les formes, les couleurs, l'occupation de l'espace sur le support choisi.
La peinture plus précisément est une représentation abstraite de la réalité. La réalité est bien au centre de l'intérêt de ce processus créatif pour celui qui marche son chemin de fin de vie. En effet, ce dernier offre de s'octroyer un temps pour soi, un temps devenu précieux. Il permet aussi de vivre ce temps-là comme une bulle d'oxygène, détachée de la réalité souvent dure du quotidien. Il invite de vivre un moment suspendu, loin du rythme effréné des soins, des rendez-vous médicaux et autres, loin aussi de l'ennui ou de l'isolement.
L'art ouvre une porte à l'évasion, à se sentir vivant et à être dans l'action. Franchir cette porte, c'est accepter de se vivre en dehors de la maladie et de l'état de fait (mourir).
« Même si on ne peut plus soigner, on peut encore prendre soin »
Dans ce « prendre soin », la thanadoula prend en compte la personne accompagnée et ses proches dans une approche globale, ainsi toutes les dimensions sont conviées, les dimensions : physique, psychique, émotionnelle et spirituelle.
Elle pose un cadre bienveillant où l'envie est retrouvée, où elle est stimulée. J'avoue que parfois c'est à un refus que j'ai fait face mais même là ce refus résonne avec l'intention posée dans la proposition de l'atelier créatif. Oui, l'intention est d'amener la personne en fin de vie à sentir qu'elle est encore libre et capable de créer, d'avoir un but, de désirer quelque chose. L'intention est de l'amener à prendre conscience, qu'ici elle est encore maître de ses choix : s'opposer en est un, très important. L'opposition l'amène à reprendre le contrôle de sa vie.
Lorsque la réponse est oui à la proposition, le champ des possibles s'ouvrent et l'exploration d'espaces parfois oubliés commencent. La création d'une œuvre se fait à court terme pour pouvoir envisager l'aboutissement d'un projet éveillant le fait d'entrevoir un but, de contacter un espoir de pouvoir dépasser ses limites et ses croyances. Créer est alors le témoin qu'il est encore possible de réaliser quelque chose, d'être capable de s'apporter ce dont on a besoin, d'être réactif, de ressentir, de s'apaiser, de partager.
Subtilement des notions essentielles sont abordées, expérimentées sans même sans rendre vraiment compte. Je pense ici entre autre à la notion de l'éphémère et aussi à l'autorisation à s'arrêter, faire une pause, revenir… ou pas, d'être accompagné dans ses mouvements aussi quand ceux-ci sont entravés par des limites physiques ou psychiques.
Avec habileté et finesse, la peinture et la création amènent à la personne en fin de vie à être qui il est, un être vivant… encore en vie. Il parcourt ainsi tout comme vous et moi, dans cet espace de création : son enthousiasme, ses réticences, son perfectionnisme, ses joies, ses peurs, ses envies, ses jugements… il est !
Il n'est plus considéré comme le malade ou uniquement comme le mourant, il est reconnu comme personne humaine vivante.
« La rencontre se fait d'un humain à un humain avec la même destinée » - Delphine Pirlet - Ecole Internationale d'accompagnement Cybèle
Cet espace créatif peut réellement amener à une introspection, à une communication avec soi-même et également avec les autres. La conversation peut s'engager à partir de la peinture faite et son rendu, des émotions vécues, des sensations. Cette conversation peut prendre place au sein de la famille ou avec l'entourage de façon plus général autour de l'expérience, des difficultés, des ressources exploitées pour arriver à cet aboutissement. Il est vrai que les discussions semblent parfois délicates, eh bien, voilà un sujet de prime abord superficiel qui peut conduire à un partage d'une profondeur et une intimité insoupçonnées.
Ce qui est magique aussi avec la création, c'est que l'accompagnement se fait dans le subtil et la matière en simultané. L'œuvre – toile ou autre support – reste le témoin de l'expression autorisée, la maîtrise toujours présente et accessible. Posséder l'œuvre donne l'opportunité d'y revenir et par conséquent peut alimenter une motivation, à avoir un objectif.
Cet espace artistique peut se vivre comme un projet, à court terme, individuel ou collectif. Il peut s'intégrer au processus de planification dont je vous parlerai prochainement, notamment dans le cadre de la création d'un legs émotif… cette empreinte laissée pour ceux qu'on aime et à qui on souhaite le témoigner.
Cet accompagnement s'adresse à la personne en fin de vie tout autant qu'aux proches aidants dont les besoins d'espace de répit sont grands, à la famille aussi dans l'idée d'un partage et peut-être d'un dernier projet commun.
Dans l'accompagnement en fin de vie, le processus créatif donne la main à l'espoir. Naturellement dans cette situation, nous ne parlons pas d'espoir de guérir mais bien de cet espoir à court terme, celui d'un apaisement, celui d'une joie ressentie, d'une limite dépassée, d'un échange sincère et profond, d'un répit hors de la cadence du quotidien…
l'espoir de pouvoir encore se vivre pleinement vivant, maître de sa vie et de ses envies.
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