Le perfectionnisme en fin de vie : quand tenir devient une ultime résistance
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute

- 11 août
- 5 min de lecture

Il y a parfois, dans les derniers temps de vie, cette exigence silencieuse qui s'infiltre jusque dans les gestes les plus simples. Une tension discrète reste tenace et témoigne d'une volonté que les choses soient « bien faites », que rien ne déborde, ne dérange ou encore ne se voie trop.
Ainsi, j'ai pu entendre « Je ne veux pas qu'on me voie comme ça », « il faut que tout soit en ordre », « j'aurais pu faire mieux ».
Derrière ces mots, il y a souvent un perfectionniste qui ne désarme pas. Ce gardien, ancien, profondément ancré tente encore de maintenir un peu de contrôle au milieu de ce qui vacille. Il ne cherche pas forcément à contrôler par orgueil, il cherche encore à protéger. Il veut aider à garder une dignité, une identité, une certaine cohérence au milieu de tout ce qui se défait. Mais parfois à trop vouloir maîtriser, il finit par étouffer ce qui cherche à se dire, à se vivre ou à se relâcher.
Le perfectionnisme, ce mécanisme qui veille depuis longtemps
Nous croyons que le perfectionnisme est une simple affaire de tempérament, un trait de caractère parmi d'autres. Il est bien plus que ça. C'est bien souvent un mécanisme de défense, enraciné dans notre histoire personnelle, forgé dans l'enfance ou l'adolescence, au cœur d'une période où il fallait composer avec des attentes perçues comme exigeantes, de l'instabilité et aussi de la peur, du manque. Dans ces moments là, il fallait, avant tout, faire face, tenir et s'adapter.
Il s'est construit comme une réponse adaptative : faire bien, faire plus, ne pas se tromper, ne pas décevoir. Il est devenu alors un moyen d'obtenir reconnaissance et amour, d'éviter les reproches, la honte ou la punition. Avec le temps, il s'est intériorisé au point de devenir une voix automatique, des fois, omniprésente.
Sur le plan psychologique, le perfectionnisme est étroitement lié au stress chronique. Il maintient un haut niveau d'exigence envers soi-même, même dans des circonstances incertaines comme peut l'être la fin de vie. Il alimente l'angoisse au lieu de l'apaiser. Ce besoin de tout contrôler se pose au niveau des mots, du corps, du regard l'autre etc., il se renforce à mesure que le sentiment de perte de maîtrise grandit. Et pour avoir sa place, il valorise… la dévalorisation car plus nous nous sentons vulnérables, plus il a la possibilité de prendre la main afin de nous aider à nous dépasser. C'est souvent un cercle vicieux épuisant.
Même en fin de vie, nous pouvons le trouver, là, à veiller.

Ce qu'il permet encore jusque dans l'ultime passage
A l'approche de l'ultime passage, nous retrouvons le perfectionnisme dans le besoin de tout anticiper, d'organiser ses obsèques, de régler ses affaires pour ne laisser aucun poids à ceux qui restent. Nous le sentons dans cette volonté de ne pas être un fardeau, de ne pas « faire honte », de rester digne, propre et présentable ou encore de vouloir que tout se passe comme nous le voulons. Il y a là une recherche de justesse, une envie sincère de prendre soin et ce, jusqu'au bout.
Ce perfectionnisme, lorsqu'il est conscient, peut aussi offrir un cadre rassurant. Il donne une sensation d'ancrage dans un moment où tout devient incertain. Il permet de garder une forme de pouvoir sur ce qui nous échappe en apportant structure et paix.
Mais ce qui aide à tenir peut aussi, parfois, empêcher de lâcher.
Quand il devient résistance
Ce même perfectionnisme, s'il reste aux commandes sans être vu pour ce qu'il est, peut entraver le processus naturel de la fin de vie en empêchant notamment le relâchement souhaitable et souhaité. Il peut freiner l'expression des émotions, rendre difficile la demande d'aide, l'accès à l'intimité, ponctuellement l'élan d'un dernier mot à dire, d'un dernier geste à offrir.
Il peut également enfermer dans une posture où nous nous sentons obligés d'être forts. Il vient poser des injonctions ou des jugements sur qui nous sommes dans cette situation d'exception et comment nous la vivons (faiblesse, lenteur etc.). Il fige là où tout aurait besoin de se déposer et il empêche de revenir à l'essentiel : être.
Il peut ainsi devenir une barrière, une carapace, un rempart entravant l'accès à soi-même.
Psychiquement, le perfectionnisme est souvent un mécanisme de contrôle face à l'impuissance. Nous pouvons comprendre que lors de la fin de vie, s'il n'est pas expliqué et considéré, il puisse se renforcer par l'exposition à l'inconnu.

Est-il possible de lui parler autrement ?
Les premières pistes pour l'aborder sont le jugement et le rejet. J'ai observé que le reconnaître permet de s'aborder avec plus de douceur et de bienveillance. N'oublions pas qu'il est un gardien, un protecteur et qu'il a très certainement était parfait dans le rôle qu'il a tenu sans relâche. N'oublions pas non plus qu'il est l'expression d'une part de nous.
Dans cet instant qu'est la fin de vie, plus qu'un autre, il est temps de lui souffler, avec délicatesse, que l'heure n'est plus à tenir mais à être. Il n'est plus question, non plus, d'être à la hauteur, il n'y a plus rien à prouver, juste à respirer au rythme de ce qui se vit dans l'instant, à accueillir ce qui vient, à permettre à la vie de faire son œuvre même dans ce qui s'apparente à un dépouillement.
Il est temps également de comprendre que la fin de vie n'est ni un projet à réussir ni un devoir à rendre sans erreur, encore moins une ligne droite à franchir avec brio. Elle est un passage, une rencontre avec soi-même avant tout et avec les autres aussi.
Dans cette vérité, ce qui touche profondément, ce n'est pas ce qui est parfait mais ce qui est vrai.
Pourquoi le perfectionnisme s'intensifie en fin de vie et comment l'apaiser ?
Comme nous l'avons vu, le perfectionnisme est là depuis longtemps et même s'il a été plutôt silencieux tout au long d'une partie de notre vie, il est resté tapi dans un coin, attentif. La fin de vie ravive l'impuissance, la peur du vide, la perte de repères, la confrontation à ce que nous ne contrôlons plus. Il peut donc se réactiver. Il tente de maintenir une cohérence dans ce qui est vécu, il essaie de contenir alors que tout commence à se relâcher. Il revient alors comme une vieille habitude qui rassure, oppressante certes mais connue.
Pour l'apaiser, il ne s'agit pas de le combattre, je l'ai évoqué dans le paragraphe précédent, ni de chercher à le faire taire à tout prix. Il s'agit de lui offrir un espace de reconnaissance. C'est ce que j'accompagne en tant que thanadoula thérapeute. Pour cela, des approches sont envisageables, par exemple, nommer ce qu'il a permis et honorer la fonction qu'il a remplie si longtemps, des rituels peuvent être associés à cette démarche.
Ceci permet aussi d'avancer vers l'acceptation (si besoin était) de sa nouvelle réalité : la fin annoncée. En ce sens, nous lui rappelons, subtilement, que nous n'avons plus besoin de lui car nous n'avons plus besoin d'être parfaits pour être aimés, pour être dignes, pour avoir le droit de nous sentir vivants pleinement. Et de nous rappeler aussi qu'à cet instant, il n'y a rien à réussir, juste à être là, tels que nous sommes et ce jusqu'au bout.

Post Scriptum
Je vous parle régulièrement de mon travail d'accompagnement thérapeutique en lien avec les deuils symboliques, ces pertes invisibles comme les ruptures, les maladies, les changements de vie ou les désidentifications profondes…. Cet article me permet de vous donner un exemple concret de l'utilité de cette approche. En effet, travailler sur les deuils symboliques permet d'apprivoiser ce perfectionniste intériorisé et ce, bien avant les derniers instants de vie.
Cet accompagnement, lorsqu'il est conscient et engagé, ouvre peu à peu un espace où nous pouvons nous rencontrer autrement. Il nous aide à comprendre nos fonctionnements, à éliminer certains parasitages qui compliquent notre propre relation à l'autre, notamment dans une période de fin de vie.
Plus nous nous rapprochons de nous, plus il devient possible, le moment venu, de traverser la vraie mort avec plus de paix, de vérité et peut-être même de douceur.
** Création artistique 10'Scala





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