Thanadoula : mon métier raconté à travers quatre accompagnements
- Sylvie, Thérapeute, Thanadoula Palliathérapeute

- il y a 2 jours
- 6 min de lecture

J'aime entrer dans mon intimité lorsque je pose mes mots et que je vous les partage. Quant à l'intime, il reste très souvent au cœur de mes silences pour garder la douceur et la sécurité de ce cocon que j'ai créé.
J'ai donc hésité un moment avant d'écrire ce nouvel article de blog. Intimité, intime… j'ai observé la frontière et j'ai décidé.
Je vous parle de mon métier de thanadoula, je vous transmets mes réflexions riches de mes 20 ans d'expérience dans le domaine de l'accompagnement. Je vous partage aussi ces espaces si précieux qui nourrissent mon parcours. Je me dis aujourd'hui qu'il est important de vous ouvrir la porte de quelques accompagnements que j'ai pu faire… ils vous parleront à leur tour de la beauté et de la richesse de ce métier et de la présence à laquelle ils amènent.
Ce que ce métier demande
Dans ce métier d'accompagnement, je ne peux pas m'installer uniquement dans la fonction. Je prends place dans le mouvement de vie qui continue de circuler même quand la mort approche. J'apprends à écouter ce qui ne se dit pas, à reconnaître la fragilité qui cherche un appui. J'apprends également à sentir ce qui s'anime derrière les phrases et les silences, les regards aussi.
Chaque rencontre m'invite à m'ajuster. Bien sûr, une intention est posée lors de la prise de rendez-vous mais je suis toujours disposée à m'adapter et ainsi à être une oreille attentive, à apporter de la clarté aux enjeux de la situation, à me taire, s'il le faut, pour laisser de l'espace ou encore à apaiser par un geste simple.
Je m'aperçois en posant ces mots qu'ils définissent déjà la couleur et les valeurs de mon métier d'accompagnante. J'ajouterais qu'il me faut me tenir à cette justesse qui évite d'anticiper ou de prendre la main sur ce qui doit émerger de la rencontre.
Quand préparer apaise
Il y a quelque temps maintenant, la petite-fille d'une dame dont la fin de vie est annoncée, me contacte. Elle me parle de sa grand-mère avec tendresse et me confie la manière dont le mot « mort » la met en difficulté. Elle désire l'aider sans la brusquer. Elle lui parle de moi et avec son consentement, nous posons un rendez-vous de planification.
Lorsque j'arrive, cette dame me dit qu'elle ne veut « embêter personne », qu'elle préfère éviter les conflits, qu'elle ne sait pas trop quoi décider non plus. Nous nous installons dans le jardin, au calme, seul le chant des oiseaux nous rejoint dans notre espace.

Nous passons trois heures ensemble.
Un temps suspendu où nous abordons avec simplicité les déclarations qu'il lui est possible de faire dès aujourd'hui : sa personne de confiance, ses directives anticipées, ses dernières volontés. A travers ces questions qui lui semblent administratives, je sens peu à peu une ouverture. La dame, installée sur son transat se détend ; ses « je ne sais pas » se parent de couleurs et prennent des formes. C'est un peu comme si quelque chose en elle osait s'ouvrir et s'exprimer.
Le lendemain, sa petite-fille me confie que ce rendez-vous a permis un changement profond. En effet, sa grand-mère parle désormais de la mort librement.
Je pense vraiment que de savoir que ses choix sont posés, écrits, lui donne cette légèreté qu'elle croyait perdue.
Dans sa situation, il me semble, que parler de la mort, ce n’était pas préparer la mort mais inviter la paix.
Quand l'espace s'ouvre
Une autre fois, c'est la fille d'une dame hospitalisée en soins palliatifs qui me demande de venir.
Je me souviens encore du regard de cette dame à mon entrée dans la chambre. Comment ne pas remarquer ce regard profond, tellement vivant au-delà de la fatigue et de la douleur.
Nous parlons entre autre, de ce qu'elle ressent, de ce qui l'inquiète et des solutions encore possibles pour soulager sa douleur.
Cette conversation ouvre un espace inattendu. Un espace dans lequel sa fille et elle se parlent comme si c'était la première fois, comme si c'était la dernière fois. Les échanges sincères sont touchants, ils autorisent les émotions, ils respectent les besoins de chacune.
Je garde beaucoup de tendresse pour cette rencontre. Elle fait partie de ces moments où je mesure à quel point ma présence n'est pas là pour intervenir mais juste pour permettre. C'est tellement merveilleux de voir les choses prendre leur place entre ceux qui s'aiment, sans forcer.

C'est un rôle qui est important pour moi, celui de « gardienne de l'espace harmonieux » où tout peut se vivre et se dire.
J'ai été le témoin privilégié de ce moment précieux où ces deux femmes se sont parlé dans cette qualité rare qui n’existe que lorsque la mort devient une présence réelle.
Accompagner aussi les proches
Quand je rencontre cet homme hospitalisé en soins palliatifs, c'est sa filleule qui m'a appelée. Elle est perdue, inquiète et bouleversée par la vitesse à laquelle les choses évoluent. Il n'a pas d'enfant ; elle se sent responsable et terriblement seule. J'apprendrai plus tard qu'elle avait été désignée comme personne de confiance.
Avec l'accord de son oncle, je viens plusieurs fois partager du temps avec eux. Nous abordons ensemble ce qu'il vit, ce que son corps montre. Nous définissons ce qui est normal et ce qui annonce doucement la suite. Afin qu'elle puisse prendre soin de lui, je lui montre des gestes simples et appréciés: masser légèrement les jambes, humidifier la bouche. Je remarque bien que ces gestes et ces mots apaisent autant cet homme que la jeune femme à ses côtés.
Lors de notre deuxième rencontre, elle me demande un rituel d'au revoir. C'est pour honorer son parrain qui compte tellement dans sa vie. Nous organisons cela : une musique et à la fin d'un texte qu'elle a écrit, leurs deux empreintes de doigt, côte à côte pour toujours.
Je me souviens aussi du sourire revenu sur ses lèvres en apprenant que ce qu'il vit est "normal" et que tout est fait comme il le faut.
Cette transmission a suffi à l'apaiser totalement et lui permettre de prendre sereinement sa place auprès de lui.
Ce partage illustre bien l'importance de la transmission, ici, elle a apaisé les peurs du “mal faire” ou du “ne pas savoir”.

Quand la parole n'est plus la voie
Ce jour-là, j'entre dans une chambre d'hôpital du service de médecine gériatrique. La dame est en crise. Sa démence amplifie ses peurs, sa confusion. Elle a la sensation que personne n'est digne de confiance. Elle répète qu'elle ne veut pas mourir, qu'elle sait qu'on veut la laisser mourir et même qu'on veut la faire mourir.
Je viens en urgence à la demande d'une de ses filles, à la base pour parler avec cette dame de ses angoisses de mort.
La discussion envisagée en amont n'est pas possible. Alors je m'adapte. Je m'approche lentement. Le contact physique devient le seul chemin. J'offre alors comme connexion la chaleur de ma main délicatement posée sur son genou, ma présence sans intention avouée. Après un long moment de lutte, son visage s'adoucit, son corps se relâche. Elle finit par s'endormir, quelque chose en elle semble avoir trouvé un refuge temporaire.
Ce moment laisse place à une discussion essentielle avec les proches aidants. Ensemble, nous revisitons les enjeux, les attentes, les peurs. Nous mettons en évidence la nécessité de reposer la situation avec plus clarté. En ce sens, nous évoquons ce que vit leur mère, ce qui est envisageable maintenant, ce qui ne l'est plus.
Le lendemain, je prends des nouvelles. Sa démence est toujours là, son agitation aussi. Nous revenons sur ce qui a été dit la veille pour aider chacun à retrouver un peu de stabilité intérieur dans cette situation vécue comme un chaos.
Je prends l'initiative de leur parler du deuil blanc, ce deuil qui commence bien avant la mort lorsque la personne telle que nous l'avons connue, s'efface peu à peu.
"C'est difficile" me dit-elle.
Ici, l'évidence se pose, il me faut savoir travailler avec l’inattendu et l’inconfort. Et être en mesure d’offrir aux proches une lecture douce et franche de ce qui les bouleverse.
Ce que ces rencontres me montrent encore et encore
Le récit de ces quatre rencontres montre que la fin de vie n'est pas un territoire prédéfini. Je le mentionne régulièrement, ce moment de vie demande une présence ajustée, une écoute fine, une capacité à accueillir ce qui se passe dans l'instant.
Pour ma part, le plus important est de ne rien imposer et de savoir rester dans l'équilibre douceur-fermeté. La thanadoula entre dans ces espaces où la mort s'invite mais surtout où la vie continue son œuvre. Elle accompagne la vie des mourants et de leurs proches. Son rôle avant tout est de rassurer, d'éclairer… de soutenir.
Ensemble, ces accompagnements racontent toutes les facettes de mon métier.

Ces accompagnement m'apprennent chaque jour à rester humble. Ils me rappellent que la mort n'enlève pas l'humanité, au contraire, je trouve qu'elle l'amplifie. Ils me montrent aussi combien la présence juste peut transformer un moment, autoriser la parole, apaiser un cœur et permettre un au revoir.
J'avance avec cette conviction profonde que la fin de vie mérite cette douceur et cette clarté.
Je me laisse vivre chaque rencontre comme un monde en soi.





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