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Adolescence : les grands deuils symboliques


Jeune personne allongée, les yeux fermés et les mains jointes sur le front, exprimant recueillement et intensité émotionnelle, symbole des deuils intérieurs.


L'adolescence est souvent perçue comme une période de crise mais il serait plus juste de la voir comme un temps de bouleversements et de deuils successifs. Ces deuils sont des deuils symboliques témoins de changements profonds. Je vous en partage quelques uns ici, ils vous ramèneront peut-être à votre propre adolescence ou encore à celle vécue par votre enfant.



Les grands deuils symboliques


Le deuil de l'enfance


Il commence quand le corps change et se transforme, quand il ne correspond plus à l'image familière de l'enfant d'hier. La voix change, les formes apparaissent, les traits du visage se modifient. Ce bouleversement physique s'accompagne du regard des autres. Il est parfois admiratif, souvent intrusif, jugeant et moqueur. Cela envoie des signaux forts qui rappellent à l'adolescent que quelque chose a basculé.

Il n'est plus un enfant mais pas encore un adulte.

Ce deuil s'incarne aussi dans l'abandon progressif de ce qui structurait son quotidien : les jeux d'enfant, les objets transitionnels, certaines habitudes ou autres rituels qui le rassuraient. Tout change, même les héros d'hier paraissent soudain naïfs, les rencontres familiales perdent de leur éclat, les plaisirs simples semblent « trop petits ».


Adolescente assise seule sur un rebord de fenêtre, genoux repliés contre elle, symbolisant la solitude, l’introspection et la tristesse des pertes adolescentes.

A mon sens, cette perte peut aussi être vécue avec violence car elle touche au statut d'enfant. Certains parents, du jour au lendemain, considèrent leur adolescent comme un adulte en devenir et cessent brutalement de lui offrir les privilèges de l'enfance.

Je me souviens d'une master classe sur le deuil faite auprès du groupe de coaching de Manon Gourgeon, où nous avions abordé ce sujet. Je me souviens de leurs regards stupéfaits de maman comprenant l'impact de cette perte. Faire son lit, mettre son assiette, gérer ses affaires deviennent soudain des attentes incontournables.

Ce passage peut sembler évident aux parents mais pour l'adolescent, il représente une rupture. En effet, il n'est plus autant choyé qu'avant, sans avoir encore acquis une vraie autonomie. Cette bascule trop rapide crée un sentiment de perte et parfois d'injustice, un peu comme si nous retirions, d'un seul coup, tous les repères qui le protégeaient.


Enfin, il touche à la relation aux parents. La dépendance affective , source de sécurité, devient une contrainte, vécue comme étouffante, elle peut même devenir souffrante. L'adolescent cherche à s'en libérer tout en continuant d'avoir besoin de ce lien. Ce va-et-vient entre désir d'autonomie et besoin de réassurance est au cœur de ce deuil. Nous pourrions apparenter le fait de quitter l'enfance à celui d'apprendre une nouvelle fois à marcher seul mais sans vraiment savoir où aller.



Le deuil des parents idéalisés


Pendant l'enfance, les parents représentent des figures protectrices puissantes, même infaillibles. Ils sont ceux qui savent, décident, rassurent. L'enfant se construit dans cette confiance, convaincu que ses parents ont réponse à tout et qu'ils pourront toujours le protéger.


L'adolescence vient fissurer cette représentation. Le jeune découvre peu à peu que ses parents ne sont pas parfaits. Leurs failles se révèlent et, apparaissent alors les incohérences entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font, les contradictions dans leurs valeurs, les limites dans leurs réactions et parfois même leur impuissance face aux difficultés de la vie. Cette révélation peut être vécue comme une trahison, un désenchantement douloureux générant des blessures plus ou moins profondes. L'adolescent réalise que ses parents ne sont pas les êtres tout-puissants qu'il imaginait mais simplement des humains, comme tous les humains avec leurs fragilités, leurs erreurs, leurs limites et leurs manques.


La sortie de l'idéalisation, teintée de désillusion peut provoquer de la colère et de l'incompréhension. Lors d'accompagnement en famille, j'ai souvent entendu l'adolescent dire : « Tu ne comprends rien » ou encore « Tu n'es pas juste ». Derrière ces reproches se cachent la douleur et la peur de perdre cette image protectrice et rassurante. Certains adolescents oscillent entre rejet et besoin de soutien. C'est une phase où ils critiquent sévèrement leurs parents tout en cherchant encore leurs bras, leurs regards dans les moments de doute.


Cette oscillation est à considérer comme un élément essentiel du processus de deuil dit sain. L'adolescent ne « rejette » pas ses parents par pure provocation, il s'efforce de se libérer d'une dépendance affective qui ne lui correspond plus et fait même contre emploi.

La sortie de l'idéalisation des parents n'est pas confortable mais elle reste une étape nécessaire pour construire sa propre identité. Elle permet de voir les parents, non plus comme des êtres tout-puissants mais comme des adultes parmi d'autres.



Le deuil de l'innocence


L'adolescence vient lever un voile et confronter le jeune à une lucidité nouvelle. Ce voile de l'enfance donne une teinte particulière au rapport au monde, à la confiance dans les adultes ou pose une distance avec la dureté de la réalité.


Le voile ôté laisse place à la découverte du désir et de la sexualité. A ce sujet, ce qui relevait du jeu ou de la curiosité prend une tout autre dimension : le corps devient source d'attirance, de plaisir et aussi d'inquiétude. Les premières expériences amoureuses, les désirs naissants, l'exposition à l'intimité de l'autre amènent également à quitter l'enfance. Ce passage, même s'il peut être vécu comme exaltant, est troublant. Il oblige à apprivoiser une part de soi jusque-là inconnue.


Deux adolescents assis côte à côte dans l’herbe, se tenant la main avec timidité, symbole de la découverte du corps, du désir et de la perte de l’innocence.

Ce deuil de l'innocence se joue aussi dans la confrontation au monde adulte. L'adolescent prend conscience des injustices sociales, des violences, des guerres, des menaces climatiques, des difficultés de ceux qui l'entourent et qu'il peut interpréter comme des échecs. Ce qu'il percevait comme un univers relativement sécurisant se révèle être traversé de fragilités et d'ombres. La désillusion peut être brutale, allant parfois jusqu'à une perte de confiance ou l'apparition d'un sentiment d'impuissance.


Le deuil de l'innocence amène à accepter que le monde ne soit pas toujours juste ni protecteur, que l'autre ne soit pas toujours bienveillant. C'est aussi reconnaître en soi des pulsions, des désirs et des élans nouveaux qui ne correspondent plus à l'image « sage » de l'enfant.


Ce passage n'est pas simple. Certains adolescents tentent de prolonger l'innocence en se réfugiant dans des univers imaginaires, d'autres, au contraire, précipitent la rupture en s'exposant volontairement aux excès, un peu comme pour s'arracher au plus vite à la naïveté.

Dans tous les cas, ce deuil symbolique est fondateur, il invite à regarder le monde avec lucidité tout en apprenant à préserver une part de confiance et de créativité.


 

Le deuil de l'omnipotence infantile


L'enfant vit souvent dans l'illusion qu'il peut tout savoir, tout faire, tout devenir. C'est vrai que protégé par son imaginaire et la confiance des adultes, il se vit maître de son monde. L'adolescence vient poser une autre réalité… celle des limites.


Les premières confrontations se jouent dans le corps. L'adolescent découvre qu'il n'a pas un maîtrise absolue de ses transformations. La puberté impose ses changements. Le corps, autonome, grandit trop vite ou pas assez, il se couvre "d'imperfections", il réagit par des élans ou des maladresses. Je me souviens de Nathan qui, lors d'un rendez-vous me confiait qu'il ne voulait pas grandir et qu'il était très en colère de constater que son corps lui imposer ses propres règles.


Sur le plan psychique, c'est aussi une prise de conscience que les désirs ne suffisent pas à tout obtenir. L'adolescent réalise qu'il existe des contraintes sociales, scolaires, économiques et que certaines ambitions ou rêves se heurtent au réel. La toute-puissance infantile, dans la croyance de pouvoir tout décider par exemple, s'efface devant l'expérience des limites.


Ce deuil aussi peut être douloureux. Il engendre de la frustration, de la révolte, parfois aussi un sentiment d'injustice. Une nouvelle fois, cette réalité peut amener certains adolescents à aller dans l'excès en s'imposant de se mettre en danger. C'est une façon de nier ses limites et de se prouver qu'il peut encore tout contrôler. Derrière ces conduites dangereuses se dissimule souvent la peur de ne plus être maître de sa vie.


Cheminer au cœur de ce deuil permet de reconnaître que nous ne sommes pas tout-puissants et ouvre à une nouvelle liberté. Laquelle ? Celle de choisir dans un cadre donné, de créer malgré les contraintes, de trouver sa place dans un monde qui ne nous obéit pas.


Le deuil des repères stables


L'enfance s'inscrit dans un univers relativement cadré. Les rythmes sont réguliers, les repères affectifs et familiaux offrent une continuité rassurante. L'école, les habitudes à la maison, les relations simples avec les copains composent un monde prévisible dans lequel l'enfant peut se repérer sans trop d'efforts. C'est un peu comme s'il se laissait porter.


L'adolescence vient bousculer cette stabilité. L'entrée au collège, au lycée introduit de nouveaux espaces, de nouvelles règles, une hiérarchie plus complexe aussi. Les relations deviennent plus mouvantes, en un clin d’œil l'adolescent passe du statut de « meilleur ami » à celui « d'ennemi à abattre », du lien profond à la rupture. Il me semble qu'à ce moment là, le sentiment d'appartenir à un monde clair et lisible n'est plus si évident.


Deux adolescentes allongées sur un canapé, riant et prenant un selfie, symbole des amitiés adolescentes intenses mais parfois marquées par des ruptures soudaines.

A la maison aussi les repères se modifient. J'en ai déjà un peu parler dans le paragraphe du deuil de l'enfance. Ce qui était familier et évident, comme les repas partagés, les sorties en famille, les rituels quotidiens, perd de sa place ou de son importance. Les parents eux-mêmes changent de posture, moins directifs sur certains points et plus exigeants sur d'autres, ces variations viennent brouiller encore plus le paysage intérieur de l'adolescent et susciter un profond désarroi. Certains jeunes cherchent de nouveaux points d'appui dans un groupe d'amis par exemple, dans une passion, une idéologie aussi. D'autres, au contraire, se replient, complètement déstabilisés.


Ce deuil ouvre la voie à un apprentissage essentiel, celui de construire ses propres repères. C'est dans ce vide relatif que l'adolescent commence à expérimenter ses valeurs, ses choix, sa manière de vivre dans ce nouveau monde.



Le deuil de projets et de rêves


Nous l'avons vu plus haut, enfant, tout semble possible. Nous nous imaginons devenir astronaute, chanteuse, vétérinaire ou explorateur. Nous rêvons d'une vie idéale, sans contrainte, faite d'amour éternel, d'amitiés solides et de réussites éclatantes. Ces projets, même irréalistes, nourrissent et donnent une direction à suivre à notre imaginaire.


L'adolescence introduit la première grande confrontation entre idéaux et réel. Certains critères viennent rapidement redistribuer les cartes et les règles du jeu. C'est le cas, par exemple des choix scolaires qui ferment certaines portes, ou encore des contraintes financières ou sociales qui limitent les perspectives etc.


Le deuil de certains rêves n'est pas anodin, c'est pourtant si souvent banalisé. Il peut provoquer tristesse, colère. L'adolescent se voit vivre le renoncement, il apprend qu'il devra renoncer à certains possibles pour en construire d'autres. Difficile ! Cela peut le mettre face à un sentiment d'injustice, d'incapacité ou de fatalité.


Accompagné, ce deuil est une étape de maturation. Il permet de réajuster ses projets, de les ancrer dans une réalité plus concrète. L'adolescent, en abandonnant des idéaux impossibles, se rapproche de désirs plus profonds, plus authentiques. Il ne s'agit pas seulement de « renoncer » mais de transformer des illusions en aspirations concrètes.


Ainsi derrière la douleur des rêves brisés, nous pouvons trouver un horizon plus réaliste, plus personnel, façonné par l'expérience et le discernement.


L'autonomie et l'indépendance : entre désir et peur



Parmi les grands deuils symboliques de l'adolescence, celui qui entoure l'autonomie et l'indépendance occupe une place centrale. L'adolescent sent grandir en lui le besoin de liberté. Il veut choisir ses amis, organiser son temps, décider de ce qu'il aime ou non. Cette aspiration est saine et nécessaire car elle prépare l'entrée dans l'âge adulte. Elle s'accompagne, bien souvent, d'angoisse, de maladresse et d'ambivalence.


L'adolescent désire voler de ses propres ailes mais il craint en même temps de perdre le filet protecteur de l'enfance. Ce double mouvement se traduit souvent par des changements radicaux de positionnement. Un jour, il revendique haut et fort son indépendance et le lendemain, il réclame une présence rassurante de ses parents. Ce mouvement est un témoin que le travail intérieur de séparation se fait.


Du côté des parents, ce mouvement est également source de tension. Eux aussi vivent une perte, celle de l'enfant dépendant, tendre et proche. Voir leur adolescent prendre de la distance peut réveiller un sentiment de vide, un sentiment de perte de contrôle. Et eux aussi oscillent entre le besoin de protéger et celui de laisser partir. Les parents tâtonnent, leurs réactions peuvent être incohérentes, un jour, elles sont trop strictes et le lendemain trop permissives.


Une mère et sa fille s’enlacent sur un chemin de terre rouge qui s’étire vers l’horizon, symbole d’accompagnement, de passage et de transmission.

Au delà de tout cela, existe une autre difficulté, celle de la société à reconnaître l'adolescence comme une véritable période de transition. Dans de nombreuses cultures traditionnelles, ce passage est encore ritualisé avec des cérémonies, des rites de passage, d'épreuves symboliques. Le changement de statut est ainsi réellement marqué. Dans nos sociétés modernes, ces repères ont presque disparu.

Nous attendons souvent de l'adolescent qu'il devienne adulte « tout seul », sans médiation ou soutien psychologique et symbolique.

Cette absence, à mon avis, accroît l'insécurité intérieure et rend la quête d'indépendance plus difficile.


Ainsi l'autonomie et l'indépendance ne se réduisent pas à une simple liberté. Elles s'accompagnent d'une perte, souvent ignorée et impactante, celle de l'enfant dépendant. Elles ouvrent aussi la voie à un nouvel équilibre où l'adolescent apprend à se définir par lui-même, tout en restant relié aux autres.


Dans le troisième et dernier article de cette série, je montrerai en quoi ces pertes symboliques ne sont pas seulement des renoncements douloureux mais aussi des portes vers le changement. Nous verrons ensemble comment les accompagner, en famille et dans la société, en prenant en compte que les enjeux sont partagés.

 

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Invité
02 sept.
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