Aujourd'hui dans cet article de blog, je vous partage un des devoirs rédigés lors de ma formation suivie auprès de la Faculté de la fin de vie de l'école Cybèle.
Le sujet était de faire le récit d'une séance d'accompagnement du deuil d'un enfant de 6 ans.

Séance d'accompagnement du deuil d'un enfant
Je travaille dans le domaine de l'accompagnement de fin de vie. J'ai été contactée par une dame qui a perdu son père il y a quelques jours déjà. Elle ne m'appelle pas spécialement pour elle mais me parle plutôt de son fils de 6 ans. Elle me précise qu'il est bouleversé et qu'il est difficile pour elle de le soutenir car son chagrin est souvent insupportable. Elle se sent démunie. Elle ne sait pas vraiment comment apaiser son fils. Je reprends ici ses mots.
Avant la séance d'accompagnement du deuil d'un enfant
Avant de lui proposer de le voir, je lui demande son prénom. Il se prénomme Baptiste. Je lui demande également de mettre des mots sur ce qui s'est passé ces derniers jours. Je vous fais part ici de quelques uns des sujets abordés. Les circonstances de la mort de son père : il est mort d'une crise cardiaque et s'est écroulé dans sa cuisine. Seule sa femme était là à cet instant. C'est elle qui a géré les secours etc. La mère de Baptiste n'est arrivée qu'après le décès reconnu. Son fils, lui était chez son oncle et sa tante du côté paternel. Le comportement de son fils à l'annonce de ce décès : il est resté impassible quelques minutes comme s'il ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait, puis a regardé les yeux de sa mère comme si le regard en disait beaucoup plus long que les mots. Les larmes ont coulé, il s'est blotti dans les bras de cette dernière. C'était un vendredi en soirée, ils sont immédiatement allés chez les grands-parents où toute la famille s'est retrouvée.
Je lui fais préciser si elle a d'autres enfants : elle me répond que non. Baptiste est enfant unique. Et quel était le lien entre son fils et son grand-père de son vivant : ils passaient beaucoup de temps ensemble et son grand-père l'accompagnait et venait le récupérer à l'école deux jours par semaine.
Mon approche de la séance d'accompagnement du deuil pour enfant
Toutes ses informations sont précieuses pour moi. Elles me serviront à avoir une vue globale de la situation, des liens et des enjeux existants, même si dans l'accompagnement de cet enfant de 6 ans, mon approche sera celle d'un soutien sécure, d'une présence neutre et d'une écoute attentive. Je me concentrerai à lui laisser l'espace nécessaire à l'expression de ses émotions mais aussi à ses récits et ses silences. Ces informations me permettront aussi de jauger la compréhension de Baptiste quant à la finalité de la mort, de savoir s'il pose beaucoup de questions pour comprendre les causes du décès de son grand-père et s'il verbalise régulièrement ce qu'il ressent. Sa mère me précise qu'il s'ennuie de son papou, comme il l'appelle. Elle me confirme que son fils pleure beaucoup et que parfois il s'énerve sans raison évidente pour elle. Et même s'il arrive à s'amuser un peu, il reste le plus souvent près des adultes, scrutant les moindres gestes, suivant avec intérêt toutes les conversations. Avant de poser le rendez-vous, elle ajoute qu'elle l'a surpris en train de jouer à la mort avec ses figurines Pokémon et qu'il avait couché son personnage préféré au centre d'un cercle d'autres Pokémons.
L'environnement de la séance d'accompagnement du deuil pour enfant
Je donne le rendez-vous pour Baptiste en prenant en compte de ne pas le priver de l'activité qu'il aime, j'évite donc le mercredi après 16h car il a taekwondo. Je propose mercredi en début d'après-midi, à mon cabinet pour une séance annoncée de 1h maximum mais qui sera adaptée au besoin de ce jeune garçon.
La séance avec Baptiste approche. J'ai deux espaces à ma disposition, une salle petite, cosi et un peu sombre, une autre lumineuse et spacieuse. Les deux espaces seront disponibles et accessibles. Je choisis néanmoins d'accueillir le jeune garçon de 6 ans dans la salle la plus grande et la plus claire. Il y a un canapé, des chaises, des coussins au sol, des instruments de musique (tambours, gong, bol chantant, drum tongue, maracas etc.).
J'installe sur un petit tabouret des livres adaptés à ce public :
« Le petit livre pour parler de la mort (et de la vie!) » - Delphine Saulière – Edition Bayard Jeunesse, les petits livres – 40 pages – 2021
J'aime la simplicité avec laquelle l'autrice répond à de vraies questions d'enfants, elle allie merveilleusement réalité, souffrance et espoir.
« Si on parlait de la mort » - Catherine Dolto – Edition Mine de rien – 32 pages – 2019
La connaissance psycho thérapeutique de l'évolution de l'enfant de C. Dolto est joliment mise au service du parler vrai aux enfants sur le sujet de la mort.
« Tu vivras dans nos cœurs pour toujours » - Britta Teckentrup – Edition Larousse – 32 pages – 2018
Une histoire tout en douceur au cœur de la vie des animaux pour aborder le cycle de la vie et la mort.
Sur la petite table juste à côté, des feuilles Canson de couleurs variées allant des tons pastels aux tons les plus soutenus et les plus vifs, des feutres, des crayons de couleur et aussi des crayons gris avec une gomme.
Sur le grand meuble, des verres, une bouteille d'eau, une bouteille de jus d'orange et quelques biscuits au beurre. Disposée juste à côté une boîte de mouchoirs en papier.
La séance d'accompagnement du deuil pour enfant
La cloche sonne, le rendez-vous, c'est maintenant. J'ouvre le portail. Baptiste s'approche, il est accompagné de sa mère, ils marchent côte à côte.
Je les accueille tous les deux avec un sourire discret. Ils entrent dans la pièce et je les invite à s'asseoir sur le canapé deux places. Je m'installe un peu de côté sur une des chaises présentes.
Le premier invité est le silence, nous nous observons en douceur.
Puis je demande à Baptiste s'il sait pourquoi il est là aujourd'hui. Il me répond brièvement que oui. Je lui demande s'il souhaite que sa maman reste avec nous, il répond tout aussi brièvement que non. Je propose donc à la maman, après qu'elle ait formulé son consentement à ce que son fils reste seul avec moi, d'aller jusqu'à la petite plage à cinq minutes à pieds de mon cabinet. Ceci ouvre la possibilité que Baptiste reste seul, et qu'elle puisse rapidement nous retrouver si besoin. Je mentionne tout cela à haute voix pour rassurer Baptiste, si besoin était. Je spécifie que la durée de la séance pourrait être modulée et que si c'était le cas, je la préviendrai par téléphone. Elle dépose un baiser sur la joue de son fils et part.
Le tête-à-tête pour établir la confiance
Nous voilà en tête-à-tête, j'explique à Baptiste que la salle comprend différents espaces et qu'ils sont libres d'accès selon son envie : je lui montre donc les livres sur le tabouret, le matériel de dessin sur la petite table, la collation sur le grand meuble et les instruments de musique également à disposition. Je lui précise aussi que s'il le préfère il peut s'installer au sol sur les coussins présents à cet effet.
Il se lève, sans un mot, et regarde tout ce dont je viens de lui parler. Il me semble prendre ses marques. Je profite qu'il soit un peu plus actif pour lui dire que cette séance prendra la teinte qu'il souhaite et qu'il n'est pas obligé de parler. Que cet espace et ma présence sont dédiés à l'accueillir dans ce qu'il vit, son deuil. Il me regarde avec de grands yeux interrogateurs. Je lui demande s'il sait ce qu'est le deuil. Il fait un mouvement de tête de droite à gauche. Il ne sait pas. Je prends note de cette information dans l'attente du moment où nous pourrons échanger sur le sujet. Je me sers un verre d'eau, je lui en propose un, il choisit du jus d'orange, son regard se détourne vers les gâteaux, je lui fais signe de la main qu'il peut s'approcher pour se servir. Ce qu'il fait.
Nous commençons donc cette entrevue par un goûter. Je sens que l'atmosphère se détend.
Je lui présente le verre, il me remercie, sourit et ajoute qu'il adore ces biscuits qui lui font penser à son grand-père. Ses yeux s'humidifient, retenant néanmoins les larmes. Je lui demande s'il a envie de me parler de lui. Il me répond que oui puis me tourne le dos pour rejoindre la petite table avec les feuilles et les feutres.
Il récupère le tout et se met au sol. Il me regarde tristement en me signifiant qu'il ne sait pas quoi dessiner. Je lui propose de faire un cœur de la dimension qu'il souhaite, où il veut sur la feuille. Il s'exécute en faisant un énorme cœur au centre. Je lui propose aussi de choisir des couleurs, je nomme des émotions et il associe les couleurs à celles-ci. Je lui donne la consigne de colorier le cœur avec les couleurs qui correspondent à ce qu'il ressent en ce moment. Il ne choisit que 2 couleurs : le rouge pour la tristesse et le jaune pour la colère. Il colorie le cœur en le coupant en deux quasiment à parts égales. En tant qu'art thérapeute, le choix de ces couleurs m'interpelle. Je ne me focalise pas sur cette interprétation et j'ouvre la discussion. Je lui demande pourquoi son cœur est rempli de tristesse et de colère.
Il me dit que Papou est parti et qu'il ne reviendra jamais. Que lui il veut qu'il revienne, il veut le revoir.
Je reformule en mentionnant que son grand-père est mort et que même s'il a envie de le revoir, cela sera en effet impossible. Je mesure ici que Baptiste a bien conscience que la mort est irréversible et qu'il est en mesure également de reconnaître son besoin. Je lui soumets l'idée de situer son grand-père par un autre cœur sur son dessin. Il sourit et s'empresse de prendre un feutre bleu marine pour le dessiner. Il place ce cœur à l'intérieur du premier, il est à peine plus petit. Il sourit encore et me dit que c'est sa couleur préféré. Il semble satisfait.
Dans le calme de la pièce, je pose la notion du cycle de la vie définit par la naissance et la mort et que celle-ci peut arriver à n'importe quel moment. Baptiste semble intéressé. Je sens que le lien de confiance se crée. Il me demande s'il peut me poser une question. J'acquiesce de la tête. « Est-ce que Papou a mal ? » Je lui demande ce qu'il en pense, lui. Il me dit que pour lui non, son Papou n'a pas mal. Je le rassure en lui disant qu'après la mort il n'y a plus de douleur, plus de besoin de manger, boire, dormir ou encore faire pipi et caca. Il rigole. Il me dit qu'il n'y avait pas pensé mais que c'était important. Je rigole à mon tour.
Comme si nos rires avaient autorisé sa liberté de mouvement, il se dirige vers les instruments, il se saisit d'un des tambours. Il prend la mailloche, me dit qu'il ne sait pas en jouer… je lui réponds qu'il n'y a pas à savoir mais plutôt juste à laisser faire. Alors qu'il s'applique à faire se rencontrer la mailloche et la surface en peau du tambour pour créer du son, il me parle. Il me confie qu'il ne sait pas comment il va faire maintenant que son grand-père n'est plus là car il s'occupait beaucoup de lui. Il me demande : « Comment je vais faire pour aller à l'école? » comme si son grand-père gérait toute sa vie. Il témoigne ici de l'importance qu'il avait dans sa vie. Baptiste pleure. Je sens l'émotion prendre place.
Il tape fort sur le tambour comme pour expulser sa colère et son angoisse du futur. Il me regarde me demandant l'approbation à pouvoir taper fort, même peut-être plus fort sur le tambour. Je lui dis qu'il est vraiment très important qu'il exprime ce qu'il ressent et que cela ne fera de mal ni au tambour, ni à lui-même, bien au contraire.
Dans un mouvement ample, il laisse la mailloche s'écraser sur le tambour. Il pleure encore. Je dépose près de lui la boîte de mouchoirs, sans un mot. Après quelques minutes, il s'arrête, récupère un mouchoir et se mouche. Je lui demande comment il pense que cela va se passer pour lui pour aller à l'école. Il me dit que sa maman et sa Tati pourront l'accompagner.
Un dernier sanglot, le calme revient.
Il se dirige de façon autonome vers le grand meuble, boit un peu de jus d'orange encore et prend un biscuit. Il retourne sur la canapé. La séance touche à sa fin, une heure est passée finalement. Je lui dis combien j'ai confiance en lui pour qu'il traverse ce qu'il vit actuellement. Que tout ce qu'il ressent est normal et qu'il faut du temps pour bien vivre tout ça, sa tristesse, sa colère et aussi sa joie.
La fin de la séance d'accompagnement du deuil d'un enfant
Alors que la cloche sonne à nouveau, annonçant le retour de la maman, Baptiste me regarde et me demande « et c'est quoi le deuil alors? ». Je suis stupéfaite, du haut de ses 6 ans, le voilà qui me relance sur le sujet. Je souris, et je lui dis que c'est tout ce qu'il est en train de vivre et que d'exprimer ses émotions, ses besoins et ses envies va lui permettre de vivre au mieux tout cela, car c'est toujours difficile de vivre la mort d'une personne qui comptait beaucoup, il est important qu'il continue de dessiner, jouer, parler, pleurer aussi… tout ce qu'il fait déjà.
La maman nous rejoint, son regard dans un premier temps inquiet s'apaise en voyant son fils prendre un des livres au hasard sur le tabouret. Je lui précise qu'il faudra le ramener après l'avoir lu. Il sourit.
Nous nous disons au revoir, je le remercie pour ce moment de partage. Je mentionne à la maman que je l'appellerai dans la journée. Il est essentiel que ce moment reste celui de Baptiste jusqu'au bout. Ils repartent main dans la main. Je referme le portail et je range la salle.
Après la séance d'accompagnement du deuil d'un enfant
Un peu plus tard dans la journée, j'appelle comme convenu la mère de Baptiste, non pas pour lui faire un compte rendu de la séance mais plus pour lui donner quelques informations susceptibles de l'aider à accompagner son fils dans la traversée de son deuil.
Je l'ai félicitée d'avoir dit rapidement à Baptiste que son grand-père était mort et de lui avoir laissé sa place dans le cercle familial et dans ce qui se vivait pour tous.
Je lui ai dit que Baptiste a su prendre sa place et exprimer ce qu'il pouvait exprimer au moment de notre rencontre.
Je lui ai précisé que ce qu'il vivait était normal et que l'inquiétude pouvait uniquement se poser dans l'observation dans le temps.
A observer : l'intensité de ses comportements et de ses réactions et leurs fréquences.
Qu'il était indispensable par contre d'initier une chaîne de sécurité autour de Baptiste en prévenant toutes les personnes en lien avec lui aussi bien les enseignants que son professeur de taekwondo ou encore les parents des copains et copines etc.
Egalement important de pouvoir s'octroyer des moments de tendresse et de câlins et enfin puisque Baptiste avait de lui-même pris un livre, il l'invitait à la discussion et que ce type de discussion pouvait avoir lieu au détour d'un dessin animé, d'un documentaire ou d'un livre.
J'ai terminé en lui disant que ce dont l'enfant avait besoin pour traverser au mieux son deuil était : réconfort, soutien et stabilité, et qu'elle avait déjà su pallier à sa difficulté légitime du fait de ce qu'elle vivait elle-même de pouvoir être la ressource première de son enfant.
J'ai senti enfin qu'il était propice de lui proposer de faire un rituel avec son fils. J'ai lui ai proposé de planter une graine ou un petit arbre dans un coin choisi par Baptiste, un lieu accessible où il pourra, ils pourront venir quand ils le souhaitent pour s'occuper de cet arbre qui va grandir, témoin de l'amour né de la relation avec Papou et qui ne va cesser de croître.
Après les échanges de civilité, je l'ai assurée de ma présence pour elle et pour Baptiste.
Voilà le récit d'une séance d'accompagnement du deuil d'un enfant. La présence d'un professionnel peut être complémentaire à votre propre accompagnement. Et il est important de reconnaître ses limites légitimes à cet accompagnement quand on est soi-même pris dans le tourbillon de la séparation et du deuil.
Je vous partage pour terminer, un document que j'ai créé justement à l'attention des parents au sujet de l'accompagnement du deuil d'un enfant.

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