top of page

Comprendre pour se rassurer... ou accueillir le mystère ?



Entre rationalisation, intellectualisation et deuil, un chemin de transformation intérieure. Quand le besoin de tout comprendre cède la place à l'acceptation de ce qui nous échappe.


Pourquoi voulons-nous tout comprendre ? Pourquoi ce besoin presque compulsif de mettre des mots, des explications, des schémas mentaux sur ce que nous vivons, surtout lorsque cela nous dépasse ?


J'ai remarqué que face à la mort, la nôtre ou celle d'un proche, ce besoin se fait plus pressant encore. Comme si comprendre pouvait atténuer la douleur, remplir le vide, dompter l'inconnu.


Dans notre quotidien, ce réflexe se glisse partout. Nous analysons nos relations, cherchons des causes à nos émotions, intellectualisons nos peurs, rationalisons nos décisions. C'est humain. Et parfois, salvateur.


Mais il arrive que cette quête de sens devienne une fuite. Je le dis souvent en atelier ou en séance individuelle. Des mécanismes de défense subtils, presque invisibles, qui nous éloignent de l'expérience brute, vivante, émotionnelle. La rationalisation et l'intellectualisation sont deux de ces stratégies psychiques. Elles nous protègent de l'effondrement… mais elles peuvent aussi nous empêcher de vivre pleinement ce qui est.


Précédemment, je vous avais parlé des mécanismes de défense en fin de vie. Dans cet article, je vous propose d'explorer ce besoin de comprendre sous un autre angle. Non pour le juger, mais pour en reconnaître les limites. Et peut-être ouvrir une porte vers quelque chose d'encore plus vaste : l'accueil du mystère et de ce fait, de la vie dans sa vraie nature.




Vouloir tout comprendre : un réflexe naturel mais enfermant



Femme en position de tension mentale, les doigts appuyés sur les tempes, symbolisant le besoin de tout comprendre et l’enfermement dans la pensée
Crédit photo Or-photographie

Chercher à comprendre est une réaction profondément humaine. C'est souvent la première chose que nous faisons face à une situation qui nous dérange, nous blesse ou nous échappe. Mettre des mots, créer des liens logiques, bâtir un récit… Cela nous donne l'illusion d'un certain contrôle sur l'événement. Comme si comprendre permettait de maîtriser la réalité, ou au moins d'en atténuer l'impact.


Ce réflexe est encouragé dès l'enfance : on nous apprend à expliquer, à analyser, à poser des questions, à chercher des causes. C'est un outil d'apprentissage et d'autonomie formidable. Et dans bien des cas, cela nous aide à avancer, à grandir, à ne pas rester bloqués.


Mais ce besoin devient un piège lorsqu'il prend toute la place. Lorsqu'au lieu de ressentir, nous intellectualisons. Lorsqu'au lieu d'accueillir l'incertitude, nous nous précipitons vers des réponses toutes faites. Quand la douleur devient insupportable, le mental prend souvent le relais : il fabrique des justifications, des récits logiques, parfois très cohérents… mais qui nous coupent de notre vécu émotionnel profond.

C'est là que se glissent certains mécanismes de défense psychologiques. Ils agissent en coulisse, sans que nous en ayons conscience. Ils sont tous fascinants pour moi, néanmoins ici, deux d'entre eux méritent qu'on s'y attarde particulièrement : la rationalisation et l'intellectualisation.



La rationalisation et l'intellectualisation : des boucliers face à l'inconnu


Quand la réalité devient trop dérangeante, trop douloureuse ou simplement trop floue, notre psychisme déploie des stratégies pour nous protéger. Parmi ces mécanismes de défenses, la rationalisation et l'intellectualisation sont particulièrement actifs chez les personnes sensibles, cérébrales ou habituées à tout analyser. Ils nous permettent, souvent sans qu'on s'en rende compte, de garder le contrôle et d'éviter d'entrer en contact avec une émotion brute ou une vérité trop déstabilisante.



La rationalisation : expliquer pour ne pas sentir


La rationalisation consiste à donner une explication logique ou moralement acceptable à un événement, un comportement ou une émotion, afin de minimiser l'impact émotionnel réel. C'est une façon de justifier après coup, de reconstruire un récit rassurant, qui rend l'inconfort plus supportable.

C'est assez souvent que j'ai entendu les phrases suivantes, dans mon accompagnement professionnel comme dans ma sphère personnelle. J'en ai certainement dites moi-même.


  • «Il est mort, mais c'est mieux comme ça, il aurait trop souffert.»

  • «Si cette relation a échoué, c'est parce qu'on n'était pas faits pour s'entendre, c'est tout.»

  • «Je n'ai pas eu ce poste parce que je n'étais pas assez motivée, au fond.»


La douleur, l'injustice, la peur ou la tristesse sont ainsi mises à distance par une explication. Cela peut être utile sur le moment, mais à long terme, cela peut empêcher un vrai contact avec ce qui a été vécu.



L'intellectualisation : penser au lieu de ressentir


L'intellectualisation, elle, est un peu différente. En effet, au lieu de transformer l'émotion en explication, elle la transforme en concept. C'est un déplacement. Au lieu de vivre l'expérience dans le corps et le cœur, on la met dans la tête. On parle de la douleur, on l'analyse, on l'étudie, parfois avec beaucoup de finesse et de justesse… mais sans la vivre réellement.


Exemples de comportements associés

  • Lire tout ce qu'on peut sur le deuil… sans laisser la tristesse nous traverser.

  • Parler de sa rupture en termes de schémas relationnels, de dynamiques inconscientes… sans jamais dire «j'ai mal».

  • Expliquer son anxiété comme un mécanisme biochimique… sans se relier à ce qui la déclenche profondément.


L'intellectualisation donne une sensation de maîtrise. Elle nous garde dans un espace mental rassurant. Mais elle peut aussi devenir un refuge qui nous isole de nous-mêmes.


Ces deux mécanismes ne sont pas «mauvais» en soi. Ils peuvent même être nécessaires à certains moments. Mais lorsqu'ils deviennent systématiques, ils nous coupent du cœur de l'expérience humaine : ressentir, être traversé, rester vulnérable. Or, c'est souvent dans cet espace là que peut émerger une transformation intérieure durable.



Les limites du mental : quand comprendre ne suffit plus



Motif organique en méandres rappelant un cerveau ou un labyrinthe, illustrant l’enfermement du mental et les limites de la rationalisation face à l’inconnu.
Crédit photo S. Di Scala

Nous avons grandi, pour beaucoup, avec cette idée rassurante que tout s'explique. Que si l'on cherche assez, si l'on comprend bien, on pourra éviter la souffrance, réparer l'injustifiable, prévenir l'inconnu. Cette croyance est au cœur de notre société moderne, qui valorise l'analyse, la logique, la connaissance. Et il est vrai qu'une certaine compréhension peut apaiser, éclairer, permettre de poser des mots là où il n'y avait que chaos.


Mais il y a des situations où comprendre ne suffit plus.

Face à la mort, par exemple, à une rupture inattendue, un accident, un geste injuste ou encore un effondrement intérieur. On peut chercher des causes, interroger les pourquoi, relire les faits mille fois… et pourtant, rien ne soulage. Parce que le mental ne peut pas tout.


Parce qu'il y des réalités qui ne sont pas de l'ordre de l'explication, mais de l'expérience.

Continuer à vouloir tout analyser dans ces moments-là peut même devenir une forme de fuite. Un évitement subtil, certes, mais puissant : tant que je cherche à comprendre, je n'ai pas à ressentir. Tant que je parle, je ne pleure pas. Tans que je rationalise, je ne me laisse pas traverser.

Et pourtant, la vie n'attend pas qu'on comprenne pour nous bouleverser. Elle traverse. Elle renverse. Elle invite, parfois brutalement, à une autre forme de présence, une présence qui ne cherche pas à expliquer, mais à vivre pleinement ce qui est.




Accepter de ne pas savoir : ouvrir un espace au mystère



Ombre d’un arbre sur fond lumineux, symbole du mystère de la vie et du deuil dans un article sur l’acceptation de l’inconnu
Crédit photo A. Courcel

Il y a un moment où l'on comprend que le mystère ne se résout pas, il se traverse.

Il ne s'agit pas plus de savoir pourquoi, mais d'apprendre à être là, sans réponse.

A cet endroit, il ne reste que le silence, l'humilité, et parfois… une paix inattendue.


Un parallèle puissant peut être fait ici avec le processus de deuil. Le deuil, dans sa forme la plus essentielle, n'est pas un problème à résoudre mais un chemin à marcher. Il ne demande pas qu'on comprenne la mort, ni qu'on l'accepte intellectuellement. Il demande qu'on se laisse transformer par l'absence, qu'on accepte d'être bousculé, vidé, parfois même brisé… pour laisser émerger lentement, un nouveau rapport au monde et à sa nouvelle réalité.


Dans les premières étapes du deuil, il est courant de chercher des explications, des causes, des raisons. C'est une manière de tenir debout, de retarder l'effondrement. Mais à un moment, le processus naturel du deuil invite à déposer les armes mentales, à cesser de lutter contre l'inacceptable, pour simplement ressentir, pleurer, se souvenir, aimer autrement.


Deuil et mystère vont souvent de pair : ce que l'on perd ne revient pas, et ce que l'on vit ne s'explique pas toujours.

Accepter cela, c'est ouvrir un espace intérieur où la vie peut recommencer à circuler, autrement.


Accepter de ne pas savoir n'est pas un renoncement. Ce n'est pas une défaite de l'intelligence.

C'est, au contraire, une autre forme d'intelligence, plus intuitive, plus intérieure. Une capacité à rester présent dans l'incertitude, à accueillir ce qui dépasse notre entendement sans le rejeter, sans le fuir, sans chercher à le réduire.


Ce n'est pas facile, je vous l'accorde. Tout en nous veut comprendre. Tout en nous veut maîtriser.

Mais il y a des moments où le seul geste juste est celui de l'abandon.

Non pas l'abandon résigné, mais l'abandon confiant.

Comme lorsqu'on se laisse porter par l'eau parce qu'on sait qu'on n'a plus la force de nager contre le courant.


Dans cette ouverture au mystère, quelque chose se transforme. On cesse de vouloir réparer, justifier, maîtriser… et on commence à ressentir vraiment. C'est souvent là que les émotions longtemps tenues à distance peuvent enfin s'exprimer : la tristesse, la peur, la colère, mais aussi la gratitude, la beauté et la présence.


Ce n'est pas l'esprit qui guérit, c'est la traversée de l'expérience.

Et parfois, c'est dans ce que l'on ne comprend pas que réside nos plus grandes ressources d'adaptation et de transformation.



Deux femmes côte à côte, l’une en larmes, l’autre en soutien silencieux, devant un mur ancien ; image symbolisant l’émotion, la vulnérabilité et l’accompagnement dans le deuil.
Crédit photo C. Guille


Et dans nos vies ? Habiter le mystère sans fuir l'émotion.



Accepter le mystère peut sembler abstrait. Et pourtant, cette posture intérieure a des conséquences très concrètes dans nos vies. Elle transforme notre manière d'être présent aux autres, à nous-mêmes, et aux événements que nous vivons.


Dans notre quotidien, nous sommes sans cesse confrontés à l'imprévisible, à l'incompréhensible, à l'injustifiable : une maladie qu'on ne comprend pas, un échec qu'on s'explique pas, un départ soudain et la fin d'une relation. Souvent notre premier réflexe est de chercher des raisons, des coupables, des explications acceptables. Poser des mots là où il n'y a que silence.


Mais peu à peu, nous pouvons apprendre à éclairer ces zones d'ombre sans les remplir à tout prix.

A rester présents même quand ça fait mal, même quand rien ne fait sens, à pleurer sans justification, à dire : «je ne sais pas, mais je suis là».

Cela demande du courage car cela signifie se rendre disponible à l'émotion, à la perte, à la vulnérabilité. Mais c'est aussi dans cette présence nue que quelque chose de profond peut naître, une forme de paix non liée à la compréhension, une confiance qui ne dépend pas des certitudes.

Habiter le mystère, c'est peut-être vivre en sachant que tout ne sera pas compris, mais que tout peut être vécu.

Non pas seul, ni enfermé dans la tête mais ouvert au monde, aux autres, à cette part de nous qui sait sans expliquer.



Œuvre abstraite peinte sur toile de lin, aux couleurs vives et libres, symbolisant le lâcher-prise, la création intuitive et l’acceptation du mystère sans besoin de tout comprendre.
Création 10'Scala

J'ai souvent retrouvé ce mouvement dans mon propre parcours artistique. Longtemps, j'ai peint des formes figuratives, réalistes, compréhensibles. Il y avait dans ce geste un besoin de capter le monde, de le représenter fidèlement, de l'ordonner sur la toile. Une façon aussi d'être dans la maîtrise de moi-même et de l'autre.


Puis, peu à peu, non sans difficultés, quelque chose s'est déplacé. Le besoin de représenter s'est estompé.

Un jour, j'ai commencé à peindre sans savoir ce que j'allais peindre, à laisser les couleurs surgir sans les expliquer. J'ai commencé à faire confiance au geste, à la trace, à l'espace vide. La peinture est devenue un dialogue avec quelque chose que je ne contrôlais plus, un espace où je n'avais plus besoin de tout comprendre, ni d'être totalement comprise.


Et c'est là que j'ai commencé à me sentir vivante, autrement. Moins dans la maîtrise, plus dans la présence. C'est peut-être cela, au fond, que je cherche aussi à transmettre ici :

qu'on peut laisser tomber les contours rassurants, et quand même créer, aimer, vivre.


Car au fond, ce que j'ai appris -dans la peinture, dans l'écoute, dans l'accompagnement- c'est qu'on n'aide pas les autres à traverser ce qu'ils vivent en leur donnant des réponses.

On les aide en leur tenant la main dans ce qui n'a pas de réponse. Et c'est souvent là, au cœur du mystère, que le vie recommence à circuler.




Vous tenir la main, cliquez sur le logo.


Symbole spiralé stylisé représentant l’intuition, le féminin sacré et la connexion sensible à l’accompagnement de fin de vie.


Комментарии

Оценка: 0 из 5 звезд.
Еще нет оценок

Добавить рейтинг
bottom of page